>>La Turquie prête à participer aux frappes contre l'EI
Dès le petit matin, les policiers et militaires ont rouvert les routes qui mènent à la ville, collée à la frontière irakienne, et autorisé sous étroite surveillance des dizaines de véhicules à y entrer, ont rapporté des journalistes de l'AFP.
Des habitants de la ville de Cizre(sud-est) sortent dans la rue après huit jours de couvre-feu, le 12 septembre 2015 en Turquie. |
Véhicules criblés d'impacts de balles, vitres soufflées par les explosions, barricades, slogans à la gloire du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) griffonnés sur les murs, les premiers visiteurs et les habitants qui ont quitté leurs abris ont découvert dans certains de leurs quartiers des scènes de guerre.
Le gouverneur de la province de Sirnak avait proclamé le 11 septembre le "succès" des forces de sécurité sur les "terroristes" du PKK et annoncé la fin du strict couvre-feu décrété le 4 septembre dans cette ville à majorité kurde.
Le 10 septembre, le ministre de l'Intérieur, Selami Altinok, avait annoncé que ces opérations avaient causé la mort de 30 combattants du PKK et d'un civil.
Le principal parti prokurde de Turquie a vivement contesté ce bilan et affirmé que nombre de ces victimes étaient des civils. "Il y a eu plus de 20 morts et plus de 50 blessés", a déclaré le 12 septembre un de ses élus, Ali Haydar Konca, ministre du gouvernement de transition. "Cette terre a été noyée dans le sang", a-t-il ajouté.
Samedi, l'électricité, les communications téléphoniques et les liaisons internet restaient très difficiles dans Cizre, tout comme l'accès à l'eau. Seuls quelques magasins, largement à court d'approvisionnement, ont rouvert leurs rideaux de fer.
Encore sous le choc, la population des quartiers touchés par les affrontements a raconté en détails le "siège" et le "blocus" de la ville.
"On s'est caché dans cette maison pendant neuf jours (...) quand on est descendu au sous-sol, on y a trouvé 23 autres personnes", a témoigné Mehmet Güler. "Il n'y avait pas d'électricité, pas de nourriture, pas d'eau", a ajouté le fonctionnaire, "nos enfants étaient morts de peur, ils étaient traumatisés".
'Ils ont fait de nous des terroristes'
Dans le quartier de Nur, un bastion de la rébellion kurde, de nombreux habitants ont accusé les forces de sécurité de les avoir délibérément pris pour cible.
"Ils (les militaires) tiraient sur tous ceux qui sortaient la tête (...) ils ont tiré sur nous, qui sommes des citoyens, nous qui payons des impôts comme tout le monde", s'est indigné le concierge d'un immeuble, Mahmut Gür, "ils ont fait de nous des terroristes".
"Mon oncle s'est fait tiré dessus par les tireurs embusqués", a raconté Esref Erdin. "J'ai essayé de l'emmener une ou deux fois à l'hôpital mais les militaires m'ont tiré dessus", a-t-il poursuivi, "il est mort en se vidant de son sang".
"Le gouvernement ne nous aime pas et c'est pour ça qu'il agit comme ça", a résumé Sait Arisoy, un commerçant.
Le charismatique chef de file du HDP, Selahattin Demirtas, a estimé le 11 septembre que le couvre-feu imposé à Cizre était l'équivalent d'une "sentence de mort" pour sa population. Et il a comparé Cizre à Kobané, la ville kurde de Syrie que le groupe jihadiste État islamique (EI) a vainement assiégée l'hiver dernier.
Le commissaire du Conseil de l'Europe aux droits de l'Homme, Nils Muiznieks, a de son côté déploré des "interférences avec les droits de l'Homme" à Cizre.
Depuis la fin juillet, les affrontements meurtriers ont repris entre les forces de sécurité et le PKK, mettant un terme aux discussions engagées en 2012 entre Ankara et les rebelles pour mettre fin à un conflit qui fait 40.000 morts depuis 1984.
À moins de deux mois des élections législatives anticipées du 1er novembre, cette escalade a provoqué de vives tensions. Dans de nombreuses villes du pays, les locaux du HDP ont été la cible de manifestants favorables au président islamo-conservateur Recep Tayyip Erdogan, qui accuse le mouvement de soutenir le PKK.
Le soir du 11 septembre, le ministre de l'Intérieur a révoqué la jeune maire HDP de Cizre, Leyla Imret, après l'ouverture d'une enquête judiciaire l'accusant de "propagande terroriste" et d'"incitation à la violence".
AFP/VNA/CVN