Tunisie : "carton jaune" au gouvernement des manifestants anti-austérité

Quelques centaines de personnes ont manifesté vendredi 12 janvier dans le calme contre les hausses de prix en Tunisie, après plusieurs jours de heurts alimentés par une grogne sociale contre le budget d'austérité, à l'approche du septième anniversaire de la révolution.

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Des Tunisiens manifestent à Tunis contre la loi de finances de 2018, adressant un "carton jaune" au gouvernement, le 12 janvier 2018.
Photo : AFP/VNA/CVN

La soirée de vendredi 12 janvier était calme après des heurts nocturnes ces derniers jours dans plusieurs villes entre jeunes et policiers. Ces troubles sont nourris par un chômage persistant malgré la croissance, et des hausses d'impôts grignotant un pouvoir d'achat déjà éprouvé par une importante inflation.

La mobilisation sociale traditionnelle à l'approche du septième anniversaire de la chute du dictateur Zine el Abidine Ben Ali le 14 janvier 2011, chassé du pouvoir par une révolution réclamant notamment travail et dignité, a été particulièrement explosive cette année, se traduisant surtout par des émeutes.

Mais vendredi 12 janvier, environ 200 manifestants ont défilé sous la pluie dans le centre de Tunis, et lancé un "carton jaune" au gouvernement à l'appel du mouvement "Fech Nestannew" ("Qu'est-ce qu'on attend"), initiateur en début d'année de la contestation contre la hausse des prix.

Dans la ville de Sfax (Centre), près de 200 personnes ont manifesté sous haute surveillance, brandissant des pancartes où l'on pouvait lire "l'argent du peuple est dans les palais, et les enfants du peuple dans les prisons", a constaté un correspondant de l'AFP.

Près de 780 personnes ont été arrêtées depuis lundi 8 janvier, a indiqué le ministère de l'Intérieur, tandis qu'Amnesty International a appelé les forces de l'ordre à la retenue.

Selon le porte-parole du ministère, Khlifa Chibani, 151 personnes impliquées dans des violence avaient été interpelées jeudi 11 janvier, portant le total des arrestations à 778 en cinq jours.

"Heurts limités"

"On estime qu'un dialogue est encore possible et des réformes sont encore possibles. Le carton jaune, c'est pour dire +attention+ : Il est temps aujourd'hui de s'attaquer aux vrais problèmes : la crise économique, la cherté de la vie, etc… Ces mêmes revendications que nous traînons depuis des années", a déclaré à l'AFP Henda Chennaoui, un responsable de Fech Nestannew.

Le gouvernement, qui a peu communiqué ces derniers jours, a balayé ces revendications dans un communiqué vendredi 12 janvier.

"Il n'y a pas de manifestations mais des casseurs, qui ont entre 17 et 21 ans donc ils ne sont pas concernés par l'impact de la loi des finances", a indiqué le porte-parole du Premier ministre Mofdi Mseddi. "C'est une loi des finances qui maintient les subventions directes envers la population pauvre et moyenne et qui renforce des politiques d'emploi en faveur des jeunes diplômés et chômeurs".

Le président Béji Caïd Essebsi et le Premier ministre Youssef Chahed se sont entretenus vendredi 12 janvier "des mesures qui seront prises dans les jours qui viennent pour améliorer le pouvoir d'achat", a néanmoins indiqué la présidence sur son site Facebook.

Pour le politologue Hamza Meddeb, la mobilisation particulièrement explosive s'explique par une "colère sociale très forte", plusieurs vagues de contestation n'ayant abouti à aucune amélioration concrète, et une "classe politique de plus en plus coupée de la population".

L'ONU "inquiète"

Heurts entre manifestants et membres des forces de l'ordre à Tunis en marge d'une manifestation contre la hausse des prix et les mesures d'austérité, le 12 janvier 2018.
Photo : AFP/VNA/CVN

Amnesty a appelé les forces de sécurité à "ne pas employer une force excessive" et à "cesser leurs manœuvres d'intimidation contre les manifestants pacifiques".

Un protestataire est mort dans des circonstances peu claires lors des heurts dans la nuit de lundi 8 janvier à Tebourba, à 30 km de Tunis.

Reporters sans frontières a condamné des pressions sur les journalistes après l'interpellation d'un correspondant français et d'un reporter tunisien qui couvraient les rassemblements.

De son côté, l'ONU, par la voix de son commissariat aux droits de l'Homme, s'est dite "inquiète" de l'ampleur des arrestations, appelant les autorités à "s'assurer que les protestataires puissent manifester pacifiquement", à l'approche du 7e anniversaire de la révolution.

Plusieurs organisations, dont la coalition de gauche Front populaire et la puissante centrale syndicale UGTT, ont appelé à des rassemblement à cette occasion dimanche 14 janvier.

Nombre de Tunisiens estiment avoir gagné en liberté mais perdu en niveau de vie depuis la chute de Ben Ali.

L'État, qui a répondu aux revendications sociales de l'après révolution par des embauches massives dans la fonction publique, se retrouve en difficultés financières après plusieurs années de marasme économique, notamment dû à la chute du tourisme après une série d'attentats en 2015.

Le Fonds monétaire international (FMI) a accordé à la Tunisie en 2016 des crédits de 2,4 milliards d'euros sur quatre ans, à condition qu'elle réduise ses déficits budgétaires et commerciaux.

Adopté à la fin de l'année dernière, le budget 2018 augmente notamment la TVA, les impôts sur la téléphonie ou l'immobilier et certains droits d'importation, et instaure une Contribution sociale de solidarité sur les bénéfices et les salaires pour renflouer les caisses sociales.

AFP/VNA/CVN

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