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Ahmed Rashed Al-Moosafri (centre), directeur d'un site de production de Barzan Holdings qui produit des respirateurs au Qatar, à Doha, le 4 mai. |
Photo : AFP/VNA/CVN |
Dans l'usine Barzan, noyau de l'industrie de l'armement du petit pays du Golfe, des affiches représentant des soldats brandissant des fusils de fabrication locale vantent la "souveraineté". Outre les fusils, les lance-grenades ou les lunettes de vision nocturne, l'usine fabrique aussi des respirateurs pour répondre à la demande en pleine pandémie de COVID-19.
En collaboration avec le fabricant américain de matériel de défense Wilcox, l'usine vise l'objectif de 2.000 respirateurs produits par semaine, dont une grande partie est destinée aux "pays amis". "Nous avons pensé que c'était le moment idéal pour augmenter la production", a déclaré Nasser Al-Naimi, directeur général de l'entreprise publique Barzan Holdings.
Cette société est la dernière manifestation de l'offensive de charme de Doha visant à cimenter d'anciens partenariats et à s'assurer de nouvelles alliances, après sa brusque mise à l'écart par des puissances régionales rivales. En juin 2017, trois voisins du Golfe, l'Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et Bahreïn, ainsi que leur allié égyptien, ont brutalement rompu leurs relations diplomatiques et économiques avec Doha.
Le quatuor accuse le petit mais très ambitieux émirat de soutenir des mouvements islamistes, d'être trop proche de l'Iran et d'ingérence dans les affaires intérieures des pays arabes. Le Qatar a nié ces accusations et refusé d'accepter les 13 conditions imposées par ses adversaires pour une reprise des relations. Parmi ces demandes : la fermeture d'une base turque et, surtout, de la chaîne de télévision Al-Jazeera, bête noire des régimes arabes.
"Un mal pour un bien"
Nasser Al-Naimi a dû superviser la mise en place d'un pont aérien pour faire venir des États-Unis les machines servant à fabriquer les respirateurs, une méthode déjà utilisée par le Qatar pour importer des vaches laitières au début de l'embargo. "Il y avait un plan de cinq ans pour importer ces machines mais on les a obtenues tout de suite", a déclaré Nasser Al-Naimi dans l'usine flambant neuve située dans un parc scientifique à la périphérie de Doha.
Son isolement par les principaux acteurs économiques du Golfe a contraint le Qatar à s'assurer une certaine autosuffisance avec la constitution de réserves alimentaires ou l'installation de fermes maraîchères, dans un pays qui était fortement dépendant des importations. Pour Nasser Al-Naimi, le blocus a joué un rôle de "catalyseur". "C'était un mal pour un bien qui nous a permis de réaliser notre vrai potentiel, de s'assurer que tout ce dont nous avons besoin soit fabriqué ici", poursuit-il.
James W. Teetzel, Pdg de l'entreprise américaine Wilcox, tient un respirateur sur un site de production de Barzan Holdings, à Doha, le 4 mai. |
Photo : AFP/VNA/CVN |
Selon les responsables de Barzan, cinq pays ont exprimé leur intérêt pour les respirateurs fabriqués au Qatar. Malgré l'embargo, l'économie de l'émirat a été plus résistante que celles de ses rivaux du Golfe, le Fonds monétaire international (FMI) prévoyant que le pays sera l'un des rares au monde à dégager un excédent budgétaire en 2020.
"Effroyablement cher"
Les autorités restent discrètes sur le coût de production des respirateurs qui, selon David Roberts, un expert de la région, "sera probablement effroyablement cher". "À l'ère du COVID-19, nous constatons tous qu'il peut être difficile de se procurer des équipements", fait remarquer M. Roberts, selon qui la démarche du Qatar semble être logique. Par ailleurs, le Qatar n'a pas négligé la sécurité alimentaire.
Dans de vastes entrepôts, cinq aliments de base ont été stockés en grande quantité pour éviter que les étagères des supermarchés ne se vident, comme ce fut le cas au début de l'embargo. "Nous avons tenu à augmenter les stocks de produits qui ne peuvent pas être cultivés au Qatar afin de relever le défi d'une épidémie telle que celle du coronavirus", assure Jassim Ben Jabr Al-Thani, du ministère du Commerce.
"Nous avons en stock du riz pour huit mois, du sucre pour sept mois et de l'huile pour trois mois", précise-t-il. En décembre, Doha a déclaré qu'elle augmenterait ses stocks sur six mois de 22 produits essentiels pour trois millions de personnes.
"Il y a dix ans, tout le monde parlait de marché commun du Khalij (Golfe)", rappelle le spécialiste du Moyen-Orient Tobias Borck. "Le Qatar n'a jamais eu besoin d'autosuffisance mais la crise a créé ce moment de nationalisme et cette volonté de montrer ce dont ils sont capables", observe-t-il.
AFP/VNA/CVN