>>Un tour à la découverte de la gastronomie de Hôi An
>>Hôi An à la tombée de la nuit
Certes, je n’ai jamais eu pour l’ancienne Faifo le regard de Chimène : trop de touristes au mètre carré, trop de commerçants insistants, trop de cuisine occidentale dans des auberges d’ambiance…, l’impression de ne pas être vraiment au Vietnam ! Mais à force de balades en vélo le long du fleuve, d’explorations de ruelles sombres délaissées par le flot des curieux et découvertes de petits restaurants aux spécialités locales succulentes, j’en suis arrivé à apprécier les séjours de farniente dans un des nombreux hôtels de charme qu’offre cette destination.
Ciel chagrin
C’est beau, Hôi An au sec ! |
Photo : Wikipedia/CVN |
Ce matin, les eucalyptus qui bordent la route Mandarine se cachent derrière un rideau d’une pluie virulente, à croire que le ciel est en colère contre nous.
Hier, nous avions réussi à visiter la Cité impériale de Huê (province de Thua Thiên-Huê, au Centre) pieds secs, mais l'empereur Tu Duc (le 4e souverain de la dynastie des Nguyên : 1802-1945) nous a accueillis dans le parc de son mausolée avec une bruine de mauvais augure. La pluie s’est acharnée à troubler notre sommeil en crépitant toute la nuit sur les vitres de nos chambres.
Autant dire que c’est déjà une vieille compagne qui fait la route avec nous de Huê à Hôi An. Nous feignons de l’ignorer en nous arrêtant sur la route pour acquérir un flacon de cette fameuase lotion miracle : l’huile de cajeputier, le dâù tràm, même si les quelques mètres qui nous séparent de l’échoppe suffisent à ce que nous soyons trempés comme pain dans la soupe !
Par contre, nous ne pouvons que la maudire quand nous arrivons à Lang Cô, au pied de la route qui conduit au col des Nuages : brouillard, cascades débordantes…, impossible de monter, inutile et dangereux. Nous sommes obligés de passer sous la montagne en empruntant le tunnel routier de Hai Vân.
Si notre humeur, tout comme la luminosité, est assombrie, nous avons au moins un moment de répit, au sec. Le tout petit espoir que j’avais, en imaginant que la barrière climatique entre Nord et Sud allait avoir un effet magique, et que nous trouverions un ciel plus clément, est vite déçu : à la sortie du tunnel, nous n’en voyons pas le bout ! Dà Nang est traversé sous les crépitements et les rafales de vent, rouleaux de la mer à peine visibles derrière une brume grisâtre dans laquelle se confondent ciel et terre. Notre projet d’escalader les Montagnes de Marbre tombe à l’eau. Finalement, Hôi An semble prendre pitié de nous, en nous accueillant sous un ciel gris, mais sec !
Pieds dans l’eau
En arrivant à notre hôtel, mes amis s’extasient devant son aspect intime, avec le patio offrant une piscine à l’eau bleu clair qui rappelle qu’il y a aussi du soleil sur cette partie du monde. Les chambres et leur balcon, qui donnent sur ce patio, invitent à se prélasser sur les grands lits moelleux.
Mais puisque nous sommes dans la ville de tous les commerces artisanaux, il faut commencer à jouer les chalands. À la question étonnée de mes amis, à propos des parapluies mis à disposition par l’hôtel, la réponse est apportée par le ciel qui se déchire brutalement et déverse des tonnes d’eau sur notre tête.
Si au début de notre flânerie, c’est en chantant «Toute la pluie tombe sur moi…» que nous passons d’un magasin à l’autre, c’est bientôt en pataugeant dans d’énormes flaques que nous essayons d’atteindre les auvents opportuns des échoppes, alors que les touristes refluent de plus en plus vers l’unique rue commerçante de la ville qui ne soit pas inondée.
En effet, les deux rues parallèles à la rivière sont déjà sous les flots et, alors que mes amis, pris par leur fièvre acheteuse, n’y prêtent pas attention, je constate que mes semelles de chaussures ne sont plus assez hautes pour permettre à mes pieds d’éviter de se transformer en nageoire. Ce n’est pas la montée de la marée au Mont St Michel, mais ça m’inquiète quand même !
C’est beau, Hôi An sous l’eau ! |
Photo : Vietnamnet/CVN |
Direction l’hôtel… Une fois tout mon petit monde à l’abri, nous pouvons nous permettre un repas sympathique en regardant la surface de la piscine trembloter d’émotion au contact de l’eau céleste. Nouvelle nuit accompagnée du bruit de la pluie.
Hôtel insubmersible
Au réveil, j’ouvre les rideaux pour voir l’état du ciel. Et j’ai l’illustration parfaite du principe des vases communicants. Ce qui était en haut est passé en bas : le ciel est gris, mais sec ; la piscine est noyée (un comble) sous un mètre d’eau boueuse. Les chaises longues et les tables qui l’entourent sont aux trois-quarts immergées. Impossible d’atteindre la salle du petit déjeuner : l’eau a envahi tout le rez-de-chaussée ! Pendant la nuit, le personnel a sauvé tout ce qui pouvait l’être : l’autel des ancêtres est monté d’un étage, le coffre-fort est monté sur le comptoir de la réception, les motos sont montées sur des tables…
Les touristes, massés devant la sortie, s’en donnent à cœur joie en prenant des photos des rues inondées, parcourues par des barques à fond plat qui proposent leurs services comme taxis flottants. Avec optimisme, je me dis que puisqu’il ne pleut plus, l’eau va descendre et que dans quelques heures, nous pourrons de nouveau parcourir le sentier des vaches. Optimisme déplacé : contre toute attente, l’eau continue à monter, escaladant les premières marches qui montent à notre chambre. Nous ne sommes plus à l’hôtel, nous sommes dans le Titanic !
Déjà les bateaux de sauvetage arrivent pour se ranger le long de l’escalier, là où hier encore il était possible de consulter son courrier électronique par Internet. Les clients, sous la houlette de leurs guides, commencent à déserter le navire. Piétons avisés, ils se révèlent marins malhabiles, montant à bord des esquifs mi à quatre pattes, mi à genoux. Les valises et les humains tentent de se partager l’espace en un équilibre précaire, entre tangage et roulis.
Avec l’habileté qui révèle une grande pratique, les rameurs redressent l’embarcation, et en deux ou trois coups de rames énergiques, quittent le hall de l’hôtel pour s’engager dans les rues inondées, confluents d’occasion, qui les entraînent vers des lieux où peuvent encore rouler les voitures et marcher les touristes ! Mes amis et moi sommes restés, décidés à ne quitter le navire qu’au dernier moment. Bien nous en a pris, le lendemain, la piscine réapparaît, gris terne en place du bleu ciel du premier jour. L’hôtel a résisté, les flots se sont retirés, remplacés par une boue sale du meilleur effet… Il est temps de partir !
Finalement, Hôi An peut bien faire sienne la devise de Paris : «Fluctuat nec mergitur» !