>>Deux légendes vivantes du folk du Tây Nguyên
Lê Thi, originaire d’un village agricole de la province de Thanh Hoa (Centre), s’est retrouvée veuve à l’âge de 27 ans. Son mari, un enseignant, est décédé lors d’un bombardement américain. Quittant sa terre natale avec son fils de sept mois dans les bras, Lê Thi a eu une vie difficile. Elle coule aujourd’hui des vieux jours paisibles avec son fils et sa famille, dans un bâtiment de l’arrondissement de Hà Dông, Hanoi.
Une facebookeuse professionnelle
Lê Thi est appelée familièrement par ses voisins «la vieille facebookeuse» car elle connaît comme sa poche l’Internet et le célèbre réseau social. Chaque jour, outre le temps qu’elle réserve à aider sa bru aux tâches ménagères, elle s’installe, sur son lit, devant son portable connecté au wifi. Le dos courbé, les cheveux blancs, ses doigts semblent voltiger sur le clavier, comme si elle avait 20 ans. Et le tout sans lunettes s’il-vous-plaît !
«La vieille facebookeuse» Lê Thi devant son portable. |
Mme Thi a découvert les joies de l’informatique en 2007. «Je tiens un journal intime. Mais à 88 ans, mon écriture commençait à être déformée. J’ai donc pensé à recourir à un ordinateur. À cette époque, mon petit-fils faisait ses études en Russie. Il m’a conseillé d’utiliser l’Internet pour le voir et chatter avec lui. C’est comme ça que j’ai franchi le pas du monde des hautes technologies», explique-t-elle, le regard malicieux.
Depuis, Lê Thi consulte chaque jour les informations, chatte avec son petit-fils et rédige son journal intime. «Je suis très attachée à ce portable. C’est comme un ami», affirme-t-elle. Bien différente des personnes de son âge, qui se contentent le plus souvent de surveiller leurs petits-enfants ou de tourniquer devant la porte de la maison, Lê Thi est une ardente facebookeuse.
Si au début, elle utilisait le réseau social pour avoir des nouvelles fraîches de ses petits-enfants, et notamment de son cher petit-fils en Russie, elle renforce ces derniers temps son activité. Elle met à jour son «mur», fait des commentaires et «aimes» à tout va. La nonagénaire a de nombreux amis et suiveurs. «Via Facebook, je veux partager mes points de vue, mes loisirs ainsi que m’informer de ce qui se passe ici et ailleurs. J’aime voir aussi quelles sont les tendances des jeunes», s’enthousiasme-t-elle.
Pham Thi Phuong Thanh, sa petite-fille de 39 ans, fait part d’une anecdote : «Pour sa première sur Facebook, elle a posté sur mon mur : +Rentres-tu pour le déjeuner ?+. Cette phrase, un brin décalée en de telles circonstances, a fait beaucoup rire mes amis facebookeurs et récolté de nombreux +J’aime+ et commentaires. Elle s’est rapidement fait un nom sur le réseau».
Peintre et romancière amatrice
Lê Thi a le goût de la lecture depuis sa plus tendre enfance. Mais la guerre et les difficultés de la vie font qu’elle doit quitter précocement les bancs de l’école. Il lui faut attendre 80 ans pour que, libérée de toutes ses charges professionnelles et familiales, elle puisse renouer avec les loisirs. Elle décide alors d’écrire un journal intime et un roman à l’aide de son ordinateur portable.
Son premier roman, Nguoc dong (À contre-courant), est achevé en 2009. L’ouvrage s’inspire de sa vie : une fille romantique, passionnée pour la musique et la littérature mais qui n’a pas pu réaliser son rêve en raison des bouleversements de sa vie. Long de plus de 600 pages, il a été publié par les Éditions Lao Dông (Travail) en 2010 et tiré à 1.000 exemplaires.
Elle se passionne aussi pour la peinture. |
Aujourd’hui âgée de 96 ans, elle ambitionne d’écrire un 2e roman : Dong xoay cuôc doi (Le tourbillon de la vie). Les 20 premières pages de brouillons sont d’ores et déjà achevées. Lê Thi dévoile aussi un certain talent pour la peinture à l’huile, qu’elle découvre à 72 ans. Ses huiles sont appréciées par les professionnels. Son petit appartement est d’ailleurs largement décoré de quelques-unes de ses toiles, et les étagères sont remplies d’outillages de peinture. «Voici ma première peinture à l’huile. Elle représente mon village natal à Thanh Hoa, où j’ai eu une enfance heureuse», présente-t-elle en désignant le tableau baptisé Suong som (Rosée du matin), suspendu au mûr.
Ses talents de peintres ont été salués par la presse. En 1996, impressionné par son talent, le ministre de la Culture et de l’Information (actuel ministère de la Culture, des Sports et du Tourisme), Nguyên Khoa Diêm, ouvre pour elle une exposition au Centre des foires et des expositions Giang Vo, à Hanoi. Lê Thi dispose aujourd’hui de plus de 2.000 peintures de différentes tailles. Nombre se négocient 2-3 millions/pièce. Faute de boutique, la plupart des acheteurs viennent directement à son domicile.
Lê Thi bénéficie du soutien inconditionnel de son entourage. «Ma belle-mère a vécu des années difficiles. Maintenant, nous voulons qu’elle vive heureuse et comme elle l’entend. Nous l’encourageons beaucoup dans ses activités, tout en lui conseillant de respecter son horloge biologique et de manger équilibré pour sa santé», confie Truong Thi Chuc, sa belle-fille de 70 ans.