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Yunus Girgiç (droite) fait essayer au musicien français Ashmi Benmehidi son nouveau sikke dans son atelier de Konya, en Turquie. |
Photo : AFP/VNA/CVN |
À Konya, dans le Centre de la Turquie, la ville de Rumi, l’un des derniers ateliers du poète Yunus Girgiç ne fabrique du sikke que sur commande. Yunus Girgiç l’assure : pour rien au monde, il ne vendrait un de ses sikke aux touristes, ils sont exclusivement réservés aux vrais derviches. "Je pose quelques questions de base et je vois tout de suite à qui j’ai affaire".
Au début de la cérémonie (le "sema") les derviches lâchent leur long manteau noir pour se délester de leur enveloppe corporelle avant d’entamer leur ronde, vêtus de leur ample jupe blanche, conservant le sikke qui symbolise leur pierre tombale. L’épiphanie célébrée ici, la fin de la vie sur terre, est la rencontre avec Dieu.
Dans l’atelier des Girgiç, les secrets de fabrication de cette toque haute de - 26 à 27 cm - se transmettent en famille depuis quatre générations.
Produit à partir d’un kilo de laine de chèvre ou de mouton - "des animaux sacrés" - patiemment étirée, trempée à plusieurs reprises dans l’eau savonneuse puis roulée à plat pendant une bonne journée, comme une pâte à tarte, l’artisan prépare d’abord le feutre avec l’aide de ses deux apprentis.
Cette technique plurimillénaire du feutrage permet de resserrer les fibres et de les renforcer, explique-t-il.
Environ 350 grammes de feutre qui gratte
Puis le carré de laine - réduit à 350 grammes - est moulé sur les formes en bois dont le diamètre est adapté au tour de tête du client et mis à sécher un à deux jours. Plus il fait chaud plus c’est simple à travailler.
Des moules utilisés pour fabriquer des sikke dans un atelier de Konya, en Turquie. |
Photo : AFP/VNA/CVN |
Le choix de ce matériau, relativement lourd et chaud sur la tête des danseurs, avec le léger picotement que procure le feutre sur le front, sont un "rappel des inconforts de la vie sur terre", indique Yunus Girgiç. Son atelier produit "80% des sikke dans le monde" estime-t-il.
Avec la célébration du 750e anniversaire de la mort de Rumi, les "semazen" (derviches tourneurs) et les nombreuses cérémonies qui l’accompagnent, l’échoppe ne désemplit pas.
Surgit Ashmi Benmehidi qui vient chercher son premier sikke et l’essai aussitôt : un grand jour pour le musicien français qui a quitté un emploi de cadre dans l’assurance à Montpellier (Sud de la France) pour pratiquer l’art du ney, la flûte de roseau qui accompagne les sema.
"Je viens d’être invité à jouer dans une formation consacrée", justifie-t-il en ajustant sa coiffe, les yeux brillants. "Je suis très ému", murmure-t-il. Le port du sikke signe sa consécration.
L’atelier Girgiç en produit 30 à 80 selon les années, chaque pièce vendue 2.000 livres turques (moins de 65 euros), prévue pour durer 45 ans environ sans s’altérer. Mais les semazen qui se produisent beaucoup doivent les changer tous les trois ans, à cause de la sueur.
À 33 ans, Yunus Girgiç pense avoir atteint le degré de maîtrise de son père et espère secrètement en recevoir bientôt le "brevet", sorte d’adoubement familial. "Pour la première fois j’ai tout assumé, du choix de la laine à son traitement et à la mise en forme. Mon père m’a félicité. Je pense que je suis prêt".
AFP/VNA/CVN