Les jours fériés au Vietnam ne sont pas si nombreux, 8 au total, mais le calendrier vietnamien est rempli de bien d'autres commémorations, le plus souvent à caractère historique ou militaire, de la naissance de Hô Chí Minh à la résistance des sœurs Trông devant l'envahisseur chinois au premier siècle de notre ère, jusqu'à la victoire de Diên Biên Phu sur les troupes françaises en 1954, leur permettant ainsi de célébrer pratiquement toutes les quinzaines de l'année. Alors, les bannières rouges fleurissent au-dessus des rues, le drapeau national est partout déployé et les haut-parleurs égrènent les chants patriotiques.
De même en est-il aussi des fêtes venues d'ailleurs. Bien que le pays ne soit chrétien qu'à 10%, le soir du 24 décembre dans les grandes villes du pays, les foules envahissent les lieux publics pour faire la fête, être ensemble plus simplement et entendre le bruit des pétards pourtant interdits. À mon premier séjour en 2001, j'habitais près de la Cathédrale de Hanoi. Le soir de Noël, l'attroupement y fut si dense que je dus prendre 30 minutes pour traverser la place où s'agglutinaient parmi la foule immense, juchés sur des motos et riant aux éclats, des dizaines de Vietnamiens habillés de rouge, le visage caché par de longue barbe blanche. De même avec le temps, sont elles apparues les autres fêtes occidentales, depuis la Saint-Valentin, la fête des Mères jusqu'à l'Halloween, comme quoi le commerce a vite raison des traditions nationales.
Mais le Têt demeure encore la grande fête du Vietnam, le début de la nouvelle année selon le calendrier lunaire qui tourne toujours entre la fin janvier et la mi-février. Calendrier lunaire et astrologie chinoise faut-il ajouter, car après l'Année du Buffle en 2009, ce sera l'Année du Tigre cette fois, année pleine, riche, forte, faite de belles surprises et de moments de grande tension aussi. Une année pour aimer et se le dire, pour partager, vivre à fond ses émotions. Mais si le Tigre est superbe et généreux, sensible et émotif, capable de grands amours, on le dit aussi rebelle, obstiné, un peu tête brûlée et parfois mesquin. C'est pourquoi, on recommandera la prudence, la réflexion, le temps, histoire de prendre quelque recul avant de prendre de grandes décisions ou d'entreprendre des actions décisives. Voilà pour les quelques conseils horoscopiques de l'année 2010.
Aujourd'hui, il n'y a guère plus que le Vietnam et la Chine qui perpétuent la tradition. Pour plusieurs dans le monde, le mot Têt est apparu la première fois en janvier 1968 quand les armées du Nord et le Viêt-công ont pris d'assaut les villes du Sud dans une attaque surprise qui marqua le début de la fin de la guerre du Vietnam.
Temps des grandes retrouvailles familiales
Cette année-ci, le Têt tombe le 14 février, le jour de la pleine lune, au beau milieu de la période entre le solstice d'hiver et l'équinoxe du printemps. C'est donc le soir du 13 qu'auront lieu les défilés et les grands feux d'artifice partout au pays. La fête dure officiellement 3 jours. Le premier jour et la veille sont habituellement réservés à la famille proche, au culte des ancêtres et à la pagode quand on est croyant ; le deuxième jour aux voisins, aux parents plus éloignés et la troisième aux amis. Mais dans les faits, la fête s'étire volontiers sur 15 jours. Ainsi, durant la semaine précédant le Têt, n'essayez surtout pas de fixer une rencontre de travail avec les collègues, car ça commencera par quelques rasades de ruou gao (alcool de riz) au bureau et ça finira au resto par de joyeuses ripailles encore bien arrosées. Et la semaine d'après ne sera guère plus reluisante car il faudra bien récupérer des excès de table et autres fatigues.
Malgré quelques dérives, le Têt reste encore le temps des grandes retrouvailles familiales, le retour aux sources, un mélange de Noël et du Jour de l'An chez-nous, les jours bénis qui font rêver les enfants et courir les plus grands chez les parents, les grands-parents, le plus souvent vers les villages d'origine. C'est pourquoi, cette semaine-là les villes se vident, au Nord surtout où les traditions sont les plus fortes. Bien étonnant cet Hanoi soudainement silencieux, privé de ses milliers de motos où se mêlent souvent au premier matin une pluie diaphane et un nouveau soleil. Car le Têt, ce n'est déjà plus l'hiver, c'est bien la fête du printemps, la lumière retrouvée, les semailles à faire et l'espérance des récoltes à venir. Ici, le pêcher en fleurs (la fleur de mai au Sud) a remplacé le sapin de Noël, le bánh chung (le bánh dày au Sud), sorte de pain fait de riz gluant fourré de lard et de pâte de haricot, lui-même bien enveloppé de feuilles de maranta (ou de banane le plus souvent) et cuit à la vapeur, la tourtière de chez-nous.
Pour l'étranger que nous restons, aussi bien se faire une raison, faire quelques provisions aussi car les prix ont tendance à doubler ces 2 semaines-là, et se cloîtrer à la maison car si par insouciance, vous avez pris le chemin des vacances au Vietnam ces jours-là, vous serez assez déçus du service. C'est que le cuisinier est parti, lui aussi, chez bô me (papa maman) et que les filles de chambre ne sont pas là non plus. Alors, aussi bien pousser le voyage un peu plus loin, au Cambodge, dans les îles de Thaïlande ou d'Indonésie par exemple, là où le Têt est inconnu.
Mais pour le Viêt kiêu (le Vietnamien d'outre-mer), celui expatrié en France, au Canada, aux États-Unis, c'est tout le contraire, la nostalgie, le mal du pays. Ainsi, on paie des fortunes pour trouver un pain de riz gluant à Paris, à Montréal ou à San Francisco et quand on le peut, on accourt de toute la diaspora vietnamienne vers la terre ancestrale, celle qui a bercé l'enfance des plus anciens, ou nourri le rêve inavoué des jeunes exilés qui voudraient bien respirer enfin un jour le parfum du pays imaginé.
Alors, vous, gens du Vietnam, qui habitez désormais en Amérique, en Europe ou ailleurs dans le monde, sachez que le pays se porte bien, qu'il est déjà à la fête (avec quelques heures d'avance sur vous), qu'il se souvient de ses enfants, de tous ses enfants, expatriés ou pas. Allez Chúc Mung Nam Moi ! Vietnamiens de toutes origines et étrangers de même, qui partagez, pour un temps, le même pays, les mêmes amours, les mêmes bonheurs.
Normand Rodrigue/CVN