>>Salaire du patron de PSA : la presse partagée
Le Pdg de Nissan et Renault, Carlos Ghosn, à Fukushima, au Japon, le 5 avril |
Photo : AFP/VNA/CVN |
Carlos Tavares chez PSA, Olivier Brandicourt chez Sanofi, Michel Combes chez Alcatel-Lucent : régulièrement, les émoluments octroyés aux dirigeants des grandes entreprises françaises font des vagues, poussant le gouvernement à monter au créneau.
Dernière polémique en date, celle concernant Carlos Ghosn, qui a gagné l'an dernier 7,251 millions d'euros au titre de PDG de Renault malgré un vote consultatif contraire des actionnaires du groupe (dont l'État, qui détient 20% de l'ex-régie nationale), qui ont rejeté à 54,12% cette rémunération.
La preuve qu'au-delà des condamnations de principe, rien n'a vraiment changé ? "Sur le plan de la gouvernance, il y a eu des progrès. Mais il y a encore des mauvais élèves. Et sur le montant, on a beaucoup de mal à obtenir des avancées", confie Loïc Dessaint, directeur général de Proxinvest.
Selon ce cabinet de conseil aux actionnaires, qui milite pour un meilleur encadrement de ces pratiques, la rémunération moyenne des principaux dirigeants du CAC 40 a augmenté de 6% en 2014, à 4,2 millions d'euros. Soit plus de 300 années de Smic.
Et en 2015, le phénomène ne s'est pas inversé : selon un palmarès établi par le quotidien Les Échos, les rémunérations des grands patrons ont en effet augmenté de 4 % l'année dernière, hors bonus différés et autres actions de performance, alors que les entreprises du CAC 40 ont vu leur bénéfice reculer de 7 %.
Les mises en garde politiques "n'ont pas eu beaucoup d'effet", constate Bernard Vivier, directeur de l'Institut supérieur du Travail. "Il y a beaucoup de gesticulation. Mais la puissance politique, quelle qu'elle soit, répugne à prendre des mesures plus autoritaires, qui vont à l'encontre des lois du marché".
Incitation ou coercition ?
Lors de sa campagne de 2012, François Hollande avait promis de mieux encadrer les rémunérations des dirigeants de grandes entreprises, en limitant notamment le recours aux bonus et aux stocks options.
Carlos Tavares, dirigeant du groupe PSA, lors de son audition à l'Assemblée nationale, le 4 mai à Paris. |
Quatre ans plus tard, les salaires des patrons d'entreprises publiques ou majoritairement détenues par l'État (EDF, La Poste, SNCF...) ont bel et bien été plafonnés, à 450.000 euros par an. Mais pour le privé, c'est la voie de l'auto-régulation, au lieu de la coercition, qui a été choisie, via un renforcement du code de bonne gouvernance des organisations patronales.
Ce code, dit Afep-Medef, prévoit que les rémunérations des dirigeants soient soumises au vote consultatif des actionnaires et, en cas de rejet, que le conseil d'administration étudie les suites à y donner. Une procédure dite de "say on pay" qui a montré ses limites avec l'affaire Ghosn.
Ce code de conduite, en permettant aux assemblées générales de s'exprimer sur le salaire des dirigeants, "a permis des progrès tangibles", se défend le Medef, pour qui l'affaire Renault montre "que les actionnaires se sont pleinement emparés de cet outil" et "expriment leur avis, y compris leur mécontentement".
Jusqu'ici, de fait, seuls les syndicats, associations ou responsables politiques critiquaient les hausses excessives de salaires. Cette fois, ce sont les actionnaires eux-mêmes, les propriétaires mêmes de l'entreprise, qui ont exprimé leur mécontentement.
L'approche incitative sera-t-elle cependant suffisante pour modifier la donne ? "L'autorégulation est un modèle qui reste défaillant", tranche Loïc Dessaint, qui évoque "un problème de culture" au sein des conseils d'administration. "Ils ne se comportent pas comme les représentants des actionnaires, mais comme les cooptés du président".
Certains - à l'image du candidat à la primaire à droite Bruno Le Maire (LR) - souhaitent que le vote des actionnaires devienne "contraignant". Une proposition à laquelle s'oppose le Medef, qui y voit un signal négatif pour les investisseurs étrangers.
Cette "contrainte" pourrait pourtant bel et bien voir le jour à moyen terme : une directive européenne, en cours d'élaboration, envisage en effet de rendre le "say on pay" contraignant à l'horizon 2018 au sein de l'UE.
Et le ministre de l'Économie, Emmanuel Macron, a menacé mardi 3 mai de légiférer pour encadrer les rémunérations, si Renault ne tenait pas compte de l'avis de ses actionnaires.