Sacrée confusion

Le panthéon vietnamien compte autant de divinités, génies, héros, et autres vénérables, que d’étoiles dans un ciel d’été. Comme chacun doit avoir sa demeure éternelle, inutile de dire que l’immobilier cultuel occupe du terrain. Devant la profusion, il est parfois difficile de savoir à qui est quoi.

La tour bouddhique, une autre façon de reconnaître la pagode !

Quand un étranger visite le Vietnam, impossible de ne pas poser le pied… déchaussé dans une pagode ou dans un temple. Pas un seul village, pas un seul quartier qui n’offre aux regards étonnés de l’Occidental les toits incurvés aux tuiles canales ou plates d’un de ces bâtiments.

En ce mois de juillet, j’accueille un couple d’amis, désireux de prendre ses vacances à contre-courant du flot touristique estival. Friands d’art et d’architecture, ils m’avaient demandé de leur préparer un circuit culturel, dans lequel la visite d’édifices religieux prenait une grande importance.

Avant leur arrivée, je m’étais confronté à un contrôle de mes connaissances en matière de bouddhisme, taoïsme, confucianisme, et j’avais révisé mes leçons sur le culte des ancêtres et des génies locaux. C’est donc bardé de certitudes que je me prépare à servir de guide spirituel à défaut de directeur de conscience. Je ne sais pas encore à quel point il me faudra avoir la foi… en mes compétences !

Des pas dans la pagode

Revigorés par une nuit de repos et le plantureux petit-déjeuner préparé par mon épouse, mes amis piaffent d’impatience pour découvrir les merveilles de l’art sacré vietnamien. Déjà, les premières questions fusent. «Pourquoi les temples et les pagodes ont-ils les toits relevés ?». Zut ! Celle-là, je ne m’y attendais pas. Qu’est-ce que j’en sais, moi ?

Il y a ceux qui penchent (pas les toits, les chercheurs) pour une raison culturelle liée au mode de vie ancestral des Vietnamiens : pêcheurs vivant sur des bateaux au milieu des fleuves, quand ils se sont sédentarisés, ils ont donné à leurs toits la forme de leurs habitations d’origine, à savoir une coque de bateau.

Il y a ceux qui privilégient la cause purement architecturale : le toit long et espacé de l’entrée doit permettre de chasser les fortes pluies, mais pour être élégant, il doit avoir les coins recourbés.

Il y a aussi ceux qui y trouvent une dimension plus mystique : le toit incurvé relie le monde du Ciel et des Dieux à celui des humains.

La Pagode au Pilier unique, à Hanoi.

Et j’oublie certainement une multitude d’explications possibles, à défaut d’être plausibles. Devant mes amis, pour ne pas perdre la face, je bredouille qu’il existe plusieurs raisons à cette forme remarquable, mais qu’aucune n’est satisfaisante en soi, et je les renvoie à la lecture de quelques ouvrages en la matière.

J’espère que cela n’entame pas trop ma crédibilité, car nous sommes arrivés à notre première pagode. Inéluctablement vient la seconde question : «À quoi différencie-t-on la pagode (chùa) du temple (đền) ?». Bon, celle-là, je m’y attendais. Certains prétendent que la différence est une question de… pieds !

En effet, dans la pagode, on se déchausserait, alors que le temple accepterait de recevoir la semelle de nos souliers. J’ai même lu quelque part que l’on reconnaît la pagode aux chaussures qui stationnent devant l’entrée. Peu convaincu par cette explication, je préfère relever le niveau en dirigeant mon regard vers Bouddha.

Dans la pagode, c’est incontestablement Bouddha qui est honoré, au point d’en être cloné, dans ses différentes représentations du présent, du passé, de l’avenir, enfant, adulte, vieillard…

«Et là, c’est qui ces deux imposants personnages de chaque côté de l’entrée ?». Ah oui, je les avais oubliés ceux-là, incontestable preuve que la pagode est dédiée à Bouddha : ce sont les deux gardiens célestes, ou gardiens lions.

Bon, maintenant que nous avons exploré la pagode, il est temps de se tourner vers le temple.

Du temps dans les temples

Nos pas nous conduisent vers un autre édifice situé un peu plus loin. «On dirait une pagode». Oh que non ! Ici, c’est la demeure, soit d’un héros ou d’un personnage célèbre, soit celle des Quatre Mères, soit de divinités issues du taoïsme. C’est donc un temple !

Il existe même un temple particulier, dédié à Confucius, et que l’on retrouve dans plusieurs villes du pays : le Temple de la Littérature.

Le Temple de la Littérature, à Hanoi.

D’ailleurs, il suffit d’entrer… en se déchaussant aussi. Donc, cette histoire de semelles, ça ne tient pas la route !

Force est de constater que de Bouddha point, mais à la place, on peut faire connaissance de l’Empereur de Jade et de ses généraux dont les hallebardes sont soigneusement alignées dans des râteliers d’arme.

Plus loin, les Mères nous observent, ainsi que de nombreux personnages vénérables, mais qu’en inculte mécréant, je suis incapable de reconnaître ! Qu’importe, je laisse mes amis admirer le foisonnement de sculptures or et pourpre qui resplendissent sous le crépitement du flash des appareils photos, espérant ainsi échapper à des questions sans réponses.

Se fier à la pancarte

Après une journée consacrée à un pèlerinage entre pagodes et temples, je décide d’emmener mes amis à la campagne. Départ de bon matin pour longer le fleuve Rouge, en direction de Son Tây. «Oh, un temple ! On peut s’arrêter ?». Oui, on peut s’arrêter, mais ce n’est pas un temple : il s’agit d’une maison communale (đình). «Pourtant, il y aussi un toit incurvé». Oui, mais le toit incurvé, ce n’est pas que pour les pagodes ou les temples, autrefois toutes les maisons de personnes riches avaient un toit incurvé. «Alors, c’est une maison de personne riche ?». Non, enfin pas vraiment ! La maison communale abrite le génie du village, celui qui est censé protéger le village. Et s'il y a une grande cour, c’est qu’elle servait aussi au rassemblement des habitants lors des grandes décisions que devait prendre le village. Mais non, on ne peut pas entrer, même pieds nus, c’est fermé. On ne l’ouvre que pour les fêtes locales ou les grands événements…

Le temple, maison d'hôte de génie !

Un autre village, un autre arrêt. Tiens, c’est une pagode, il y a les deux gardiens à l’entrée. Moment de stupeur, à l’intérieur, il y a bien Bouddha, mais là, sur la gauche, ne serait-ce point une alcôve avec les déesses mères, donc taoïsme, donc un temple ?! En moi-même, je vois s’entrouvrir la porte des Enfers. Comment expliquer l’insolite syncrétisme vietnamien qui fait se côtoyer dans les mêmes édifices des croyances diverses ? Alors qu’en Occident, le temple et l’église, s’ils se ressemblent, ne s’assemblent guère ! En désespoir de cause, je rends mon tablier et décide que dorénavant, pour différencier une chùa d’un đên, il suffira de lire la pancarte apposée devant l’entrée.

Et qu’importe qu’à l’intérieur, la Mère Céleste converse avec Monsieur Tigre, après tout, l’étiquette est moins importante que le contenu. Après-vous, je vous en prie !

Gérard BONNAFONT/CVN

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