Robert Lacire, l'homme aux 21 tonnes de vinyles

"Je parle en poids car c’est plus facile" : Robert Lacire, 78 ans, a accumulé tout au long de sa vie le nombre faramineux de 21 tonnes de vinyles, soit près de 130.000, qui trouvent place dans chaque recoin de son domicile rennais et dans plusieurs garages.

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Robert Lacire devant un mur décoré de vinyles chez lui à Rennes, le 17 juin.
Photo : AFP/VNA/CVN

La visite de son trois pièces proprement rangé est un moment savoureux. Dans chaque pièce, des disques : dans le vaisselier, dans une penderie... Un rapide calcul permet d'imaginer qu'il faudrait une dizaine d'années pour les écouter tous. À titre de comparaison, la collection des Champs libres, la principale bibliothèque de la capitale bretonne, s'élève à 39.000 disques.

"Je me demande comment j’ai fait pour en avoir autant", s'amuse-t-il, cultivant un look country, blue jean, foulard noué et bottes. "Il y a des trucs de dingue !", s'enthousiasme-t-il encore, lâchant quelques jurons en sortant des "galettes" de Lenny Escudero ou Johnny Cash.

Né en 1943 ("la même année que Johnny"), un 24 mai ("le même jour que Bob Dylan"), Robert Lacire a commencé "dans la boulange", le métier de son père, avant de passer un CAP d'électricien. Appelé en Algérie, où il est "troufion" selon son terme, il s'occupe de la sono d'un groupe de rock Les Kakis, le début d'une longue histoire avec la musique.

En 1968, il reprend le bar américain Le Country à Dinan et attrape le virus du microsillon. "Comme c’était pas loin de Jersey, on y allait souvent et on ramenait des disques. Pareil, on allait aux puces de Saint-Ouen".

Devenu disquaire à Rennes, sa collection grossit, grossit, alimentée au début des années 1990 par l'avènement du CD : jugés encombrants et ringards, les vinyles sont bradés et "Bob" fait des affaires. Sa collection croît tellement qu'il doit louer des garages pour y stocker toutes ses caisses.

Un musée du disque ?

Quand il ne joue pas aux boules avec des amis, Robert farfouille dans sa collection et y déniche d'improbables pépites. Ainsi, ce vinyle en forme de carte postale carrée (!) qui diffuse une sardane du pays catalan.

Ou alors ces vinyles de 16 et 100 tours, un album de chants d'un camp de prisonniers du Michigan ou Catch a Fire de Bob Marley qui s'ouvre comme un zippo. S'il apprécie le rock et la country, il affiche des goûts éclectiques, mettant 24.000 baci de l'Italien Adriano Celentano après avoir fixé un centreur en forme de Sheila sur une platine.

"C'est une collection très intéressante, notamment en raison de sa diversité : des discours de Lénine, de la musique militaire, du théâtre comme Le Petit prince lu par Saint-Exupéry ou des disques illustrés par Dubuffet", détaille Michel Brand'honneur, muséographe, qui avait expertisé le fonds en 2007, trouvant "dommage qu'une telle collection soit disloquée à terme".

Car à l'automne de sa vie, Robert s’inquiète du devenir de ses vinyles. "C'est bébête que ça reste dans le garage", peste-t-il, ponctuant ses phrases d'un rire sec. "Monsieur 100.000 disques", comme l'a qualifié un journaliste, souhaiterait que sa collection fasse partie d'un conservatoire ou d'un musée du disque. Dans une pochette plastifiée, il montre les courriers qu'il avait envoyés à des institutions locales ou même à Jacques Chirac.

Mais rien n'a abouti, malgré des signes d'intérêt de communes de la région et alors que le marché du vinyle connaît une croissance insolente (4,5 millions d'unités vendues en 2020 selon le Syndicat national de l'édition phonographique).

"Mon plus grand souhait serait qu’une ville suive son projet", explique sa fille Sabrina, 52 ans, assistante maternelle mais qui a longtemps travaillé avec lui dans les magasins de disques. Aujourd'hui, "on choisit la facilité avec Spotify ou Deezer mais on oublie ces supports qui ont fait vivre des artistes !". "Tout le monde trouve le projet très bien mais personne ne bouge. Je vieillis, ça va partir chez Emmaüs plutôt que de laisser une mémoire dans une région", regrette-t-il.


AFP/VNA/CVN

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