Renault et Nissan à couteaux tirés, l'État français tente de rassurer

L'alliance automobile Renault-Nissan est au bord de la rupture, le constructeur français menaçant de bloquer une réforme de la gouvernance de son partenaire japonais, tandis que l'Etat français s'efforce de recoller les morceaux.

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L'enseigne d'un concessionnaire Renault à Tokyo, le 23 novembre 2018
Photo: AFP/VNA/CVN

Dans une lettre, le président du conseil d'administration de Renault, Jean-Dominique Senard, informe le patron de Nissan de "son intention de s'abstenir de voter" une des résolutions de l'assemblée générale des actionnaires, prévue le 25 juin, a fait savoir lundi 10 juin le groupe nippon, fustigeant une décision "extrêmement regrettable". Par un tel geste, Renault, principal actionnaire de Nissan avec 43,4% de participation, condamnerait une réforme qui doit être approuvée par une majorité des deux tiers.

La mesure en question n'avait jusqu'ici pas fait de vagues: elle porte sur la mise en place de trois comités (nominations, audit et rémunérations) - une structure courante hors du Japon - censée renforcer la transparence. Nissan a décidé de remettre à plat sa gouvernance afin de tourner la page après la disgrâce de son ancien patron - et PDG de Renault - Carlos Ghosn, arrêté en novembre 2018 et inculpé par la justice japonaise pour des malversations présumées.

"Malentendus" en série

L'instauration de ces comités avait été "approuvée par l'ensemble des administrateurs", dont M. Senard, au terme d'un processus minutieux de plusieurs mois, s'est étonné le dirigeant de Nissan, Hiroto Saikawa, dans un communiqué. Pourquoi un tel revirement? Contacté par l'AFP, Renault s'est refusé à tout commentaire, mais selon le Financial Times, qui a révélé l'existence de cette missive, M. Senard affirme désormais craindre que les trois nouveaux comités - qui devraient être composés d'administrateurs indépendants - soient utilisés d'une façon ou d'une autre pour réduire l'influence de Renault.

C'est que le groupe au losange ne fait plus confiance à Nissan, et vice-versa, selon des sources proches du dossier, sur fond de forte dégradation des relations depuis l'éviction de Carlos Ghosn, le ciment de l'alliance. Les deux entités, si éloignées géographiquement et culturellement, ne semblent plus du tout se comprendre, et M. Senard, nommé en février nouveau pilote de l'ensemble qui compte aussi le japonais Mitsubishi Motors, a échoué pour l'heure à renouer les liens.

Le président du conseil d'administration du groupe Renault, Jean-Dominique Senard, le 17 mai à Clermont-Ferrand.

Il a d'abord froissé Nissan en proposant une intégration dont la compagnie de Yokohama (banlieue de Tokyo) ne veut pas, puis dépité, il a saisi l'offre de l'italo-américain Fiat-Chrysler sans même prévenir son allié de 20 ans. Des discussions qui ont finalement capoté jeudi, dix jours seulement après avoir été révélées.

Senard fragilisé

"Sur le dernier épisode en date (la lettre), je ne vais faire aucun commentaire", a réagi le ministre français de l'Économie, Bruno Le Maire, en visite lundi 10 juin à Tokyo après avoir participé ce week-end au G20 Finances dans le sud-ouest du Japon. "C'est à la direction de Renault et à la direction de Nissan de trouver des solutions", a-t-il dit, les appelant à "régler les difficultés et malentendus au plus vite". M. Senard, qui apparaît fragilisé par les récents événements, peut-il rester en poste? Il "a la confiance de l'État français", qui possède 15% de Renault, à quasi égalité avec Nissan, a répondu le ministre.

Au cours de sa visite dans l'archipel, Bruno Le Maire a multiplié les signes d'apaisement envers Nissan. Il a assuré que "le renforcement de l'alliance", son leitmotiv, ne passait "pas nécessairement" par une fusion, jugeant "toutes les options possibles". "Je ne suis pas arc-bouté sur le principe d'une fusion", a-t-il dit. M. Le Maire a également rencontré le ministre japonais de l'Industrie, Hiroshige Seko, évoquant à l'issue une discussion "constructive" ayant "permis de rétablir la confiance".

Il s'est même montré plus audacieux en disant l'État prêt à "réduire sa part dans Renault", dans une interview accordée samedi 8 juin, dans un "horizon de long terme". En réalité, Nissan, rétif aux interférences du gouvernement français, voudrait qu'il se désengage totalement de Renault, d'après une source proche de l'entreprise. "Chacun doit comprendre que cette participation est l'héritage d'une longue histoire entre Renault et la nation française, cet héritage pèse", a rétorqué lundi 10 juin Bruno Le Maire.

Enfin, s'il a estimé que le projet de fusion Renault-FCA "restait une belle opportunité", il a redit qu'une telle opération ne saurait se faire sans l'accord de Nissan. "Parce que sinon vous risquez que tout s'effondre comme un château de cartes". Dans un communiqué commun cité par l'agence de presse Jiji, Bruno Le Maire et son homologue japonais Hiroshige Seko ont "réaffirmé le fort soutien" des deux gouvernements à l'alliance Renault-Nissan et encouragé fortement les deux sociétés à travailler ensemble. Les deux ministres invitent également les deux entreprises à des "échanges sincères afin d'améliorer la compétitivité" de l'alliance, et partagent leur souhait commun de "maintien et de consolidation de ce partenariat gagnant", précise le communiqué.


AFP/VNA/CVN

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