Le Courrier du Vietnam est l'un des fers de lance des institutions vietnamiennes dans la promotion de la langue française. Pourtant, si sa place est limitée aujourd'hui dans ce pays comme ailleurs, c'est bel et bien parce que le marché de l'emploi s'intéresse peu à cette compétence, et que l'anglais reste la langue internationale incontournable.
Le colloque sur les défis de l'emploi francophone réunissant de nombreux acteurs du secteur |
Cependant, tout en considérant que les enjeux sont bien plus complexes qu'il n'y parait, les intervenants du colloque de ce mercredi ont invité les acteurs du secteur à réfléchir autrement, pour redonner de la valeur à cette langue, et notamment les entreprises à présenter les opportunités qu’elles offrent aux francophones.
Tout d'abord, Nguyen Si Duc, directeur adjoint du département de l'éducation secondaire au ministère de l'Éducation et de la Formation a présenté un tableau concis mais efficace de la situation : "Il y a une volonté d'apprendre le français au Vietnam, mais les freins sont nombreux. D'abord les débouchés sont limités, mais également il y a un manque de suivi entre les lycées et les universités. Les bacheliers qui ont choisi un baccalauréat bilingue n'ont ensuite le choix qu'entre un certain nombre d'universités et beaucoup de portes se ferment à eux, comme les mathématiques ou la chimie. Ensuite, au niveau du secondaire, les enseignants sont souvent vacataires et non pas fonctionnaires, ce qui influence sur la motivation et la qualité des professeurs. Toutefois, d'après nos statistiques, 70% des jeunes ayant poursuivi leurs études en français au Vietnam trouvent un emploi dans l'année suivant le diplôme, la plupart du temps dans une grande ville".
Cet emploi francophone peut ensuite se trouver tant au Vietnam qu'ailleurs. Selon les chiffres de la Chambre de Commerce et d'Industrie française au Vietnam, l'institution ne proposait en 2012 que 110 offres d'emploi sur 3000 profils qualifiés déclarés. Les secteurs recrutant le plus étant le management (37%), le marketing et le commerce (32%), la technologie (20%), les ressources humaines (15%). Un résultat limité, mais encourageant, au regard de la crise économique et de la taille de l’organisation uniquement française de cette Chambre de commerce.
Valeur ajoutée française
Du côté de la Chambre de Commerce et d'Industrie du Vietnam, la réponse de Hoàng Van Anh, directeur adjoint des Services des adhérents et de la formation, est sans appel : "Nous recevons très peu d'offres d'emploi où l'on demande au candidat de parler français. Les seuls débouchés éventuels sont le tourisme et l'enseignement. Une des solutions serait d'établir plus de relations entre les organismes de formation et les entreprises, pour que la demande corresponde aux besoins. Mais le fait est que même les entreprises francophones demandent à parler l'anglais, c'est vraiment décourageant ! Moi j'ai fait mes études en français, j'ai notamment étudié à Montréal. Mais depuis que je travaille, j'ai beaucoup perdu de mon niveau parce que je ne le pratique plus jamais".
Cependant, Tôn Nu Thi Ninh, ex-vice présidente de la Commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale, et présidente de l'Institut Tri Viêt d'Études et d'échanges internationaux, veut coûte que coûte rester optimiste : "Parler cette langue est un plus. Il ne s'agit pas du tout de renier l'anglais. Les francophones sont le plus souvent anglophones, mais l'inverse n'est pas vrai, loin de là. Il nous faut valoriser cet aspect, et jouer sur le pluri-linguisme. De plus, le français n'est pas qu'une langue, c'est aussi une culture, un savoir-faire qu'il faut valoriser. J'invite les instances francophones à davantage communiquer sur la valeur ajoutée française, pour qu'apprendre le français devienne enfin un atout et non plus un handicap".
À titre d'exemple, comme l'a rappelé Olivier Garro, directeur du bureau Asie-Pacifique de l'Agence universitaire de la francophonie, "Hanoi compte deux formations francophones en architecture. Pourtant, la plupart de nos étudiants trouvent ensuite un emploi anglophone. Pourquoi donc suivre cette formation en français? Parce que la France a un savoir-faire en architecture, et nos étudiants ont une autre vision, notamment de l'espace".
Quelques perspectives
Tôn Nu Thi Ninh (1er à droite), ex-vice présidente de la Commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale, lors d'un colloque sur les défis de l'emploi francophone, tenu le 20 mars à Hanoi |
Même si les perspectives d'emploi sont faibles pour le français au Vietnam, elles existent. Dang Hoàng Ngân, enseignante à la faculté de psychologie à l'Université des sciences sociales de Hanoi donne ses cours en français. Même si décrocher son poste a été périlleux, elle a réussi à force de persévérance, à se faire une place. Elle est notamment passée par les ONG qui ont un siège au Vietnam.
De même, lors de ce colloque qui a rassemblé beaucoup de jeunes Vietnamiens, la société de grande distribution Big C a fait une intervention pour rappeler qu'elle recrutait en permanence, et qu'être francophone était pour eux un atout supplémentaire, que si une personne parlant le français pouvait s’exprimer et comprendre l’anglais, elle serait privilégiée par rapport à quelqu'un qui parlait parfaitement l’anglais mais aucune autre langue. Ils ont souligné de 230 de leurs managers étaient diplômés en langues étrangères. Enfin, Tôn Nu Thi Ninh a ouvert une nouvelle porte : "L'entreprise de téléphonie Viettel a ouvert des bureaux à l'étranger et notamment à Haïti et au Mozambique. Ils sont aussi intéressés par le Cameroun. Ce serait probablement un plus pour eux d'avoir des managers francophones pour une meilleur efficacité de travail. Il faut les démarcher".
Comme l'a souligné Anissa Barrak, représentante régionale de l'Organisation internationale de la Francophonie lors de ce séminaire, une langue étrangère n'est pas qu'un outil de travail, c'est aussi un moyen de s'ouvrir, de découvrir une nouvelle culture et d'améliorer ses compétences.
Texte et photos : Éloïse Levesque/CVN