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Vue aérienne du lac Crawford près de Milton, au Canada. |
Photo : AFP/VNA/CVN |
Depuis des années, les géologues cherchent à établir l’endroit dans le monde (appelé le "clou d’or") qui constitue le meilleur étalon pour cette nouvelle époque géologique proposée, synonyme de l’impact considérable de l’activité humaine sur la planète. Et ce lieu est donc un petit lac dans la province canadienne de l’Ontario, en grande banlieue de Toronto, la principale ville du pays, a annoncé le groupe de travail sur l’Anthropocène, mis en place par la Commission internationale de stratigraphie (ICS).
La légende locale prétend que ce lac n’a pas de fond. Pourtant sa profondeur est au contraire d’une richesse inégalée. Les sédiments montrent, plus que nulle part ailleurs sur Terre, que l’homme a transformé la planète à tous les niveaux. Et cela y compris au niveau géologique, dans la composition physique de la terre.
"Le lac est très profond, mais il n’est pas très grand. Cela signifie que les eaux ne se mélangent pas jusqu’au fond et donc les sédiments qui s’accumulent ne sont pas perturbés", explique Francine McCarthy de l’Université Brock.
Charbon et pétrole
Depuis des siècles, le lac Crawford absorbe discrètement les signes de changement du monde extérieur. Tout ce qui flotte à la surface se retrouve dans les profondeurs du lac.
Les premiers hommes à avoir laissé leur empreinte sur le lac sont des villageois iroquois qui ont construit des maisons sur les rives au XVe siècle. Par la suite, les sédiments montrent l’influence croissante des Européens sur le paysage (abattage d’arbres, nouvelles espèces...)
Puis au XXe siècle, c’est au tour des cendres noires - résultant de la combustion du charbon et du pétrole - de s’accumuler dans le lac dans cette région où les villes se développent et s’industrialisent. Des métaux lourds comme le cuivre et le plomb font aussi leur apparition progressivement dans la vase.
"On peut observer les perturbations locales, les événements régionaux, comme la pollution", confirme Paul Hamilton, chercheur au musée d’Histoire naturelle du Canada. Et les sédiments "documentent aussi les changements au niveau global, autrement dit les retombées atmosphériques de produits chimiques".
Le lac Crawford, “clou d'or” de l’Anthropocène. |
Photo : AFP/VNA/CVN |
"Chaque année a sa propre personnalité, un peu comme les personnes", s’extasie Francine McCarthy en montrant les lignes annuelles de la "carotte" géologique extraite du lac. Ces prélèvements servent de marqueurs, leur extraction demande dextérité, précision et rapidité.
Tim Patterson, chercheur à l’université Carleton, à Ottawa, et son équipe sont des spécialistes en la matière.
Pour récupérer sans les abîmer les couches de sédiments depuis les tréfonds du lac, ils s’activent à remplir de grands tubes métalliques de glace sèche et d’alcool. Sur ces longs bâtons glacés de près de 2 m et 15 cm de large, qui sont immergés au fond du lac pendant une demi-heure, les sédiments viennent se coller pour former une succession de lignes bien distinctes pour chaque année, comme les cernes d’un arbre.
Grande accélération
Lors des prélèvements d’avril, ce sont les traces de plutonium qui intéressent particulièrement Tim Patterson.
Le début de l’Anthropocène a en effet été proposé en 1950 "pour mettre en évidence quelque chose de tout à fait unique dans l’histoire mondiale : les essais nucléaires", explique-t-il. "Les humains n’avaient jamais fait cela auparavant. Et cela laisse une empreinte, non seulement au niveau régional, mais dans le monde entier", ajoute le chercheur.
Et le milieu du XXe siècle marquerait aussi ce moment charnière où tout s’est emballé, celui où l’humanité est entrée dans une phase de grande accélération (consommation, production, pollution...).
"Pendant 12.000 ans, les choses se sont passées de la même manière. Et puis soudain, très soudainement, tout a changé. Aujourd’hui, la Terre a été suffisamment modifiée par les activités humaines pour se comporter différemment", constate Francine McCarthy qui travaille sur le site depuis 1984.
L’approbation officielle par les autorités géologiques mondiales que la Terre serait sortie de l’Holocène, la période débutée il y a environ 12.000 ans à la fin de la dernière glaciation, pour entrer dans l’Anthropocène, l’"époque de l’Humain", reste encore incertaine.
Mais cette passionnée garde espoir. "Si les géologues, qui sont ceux qui ont découvert le plutonium et le pétrole dans les roches, acceptent qu’il y a un changement fondamental dû à l’homme, alors peut-être que des mesures seront prises".
AFP/VNA/CVN