Protecteurs de hérons depuis trois générations

Défendre bec et ongles une héronnière, quitte à se faire des inimitiés dans le voisinage. Par amour des oiseaux bien sûr, mais aussi par respect pour ses parents et grands-parents qui ont décidé, il y a bien longtemps, de faire de ce lieu un sanctuaire. Tel est la destinée de Ngân.

Ngân replaçant sur une branche des petits tombés du nid.

Quand on arrive dans la commune de Ly Thanh (province de Nghê An), on ne tarde guère à voir des nuées d’oiseaux blancs virevoltant dans le ciel. Des hérons et aigrettes. À l’approche de la propriété de Ngân, les cris viennent compléter le tableau.

Ce jour-là, Ngân est en train de récupérer de jeunes hérons tombés du nid. «La nuit dernière, il y a eu un fort vent, et plusieurs petits ont été éjectés des nids. Alors ce matin j’essaie de sauver ceux qui peuvent encore l’être», explique-t-il. Autour de lui, des centaines de hérons sont perchés un peu partout, à quelques mètres, guère inquiétés par sa présence. Sûr qu’ailleurs en campagne, ils auraient décampés à tire d’aile ! Mais ici, ils savent qu’ils sont en sécurité.

La héronnière de Ngân couvre 3 ha, et est recouverte de cajeputiers, de bambous. Des centaines de nids sont accrochés aux branches, très proches les uns des autres.

Interrogés sur l’histoire de ce lieu, Ngân confie : «C’est mon grand-père paternel qui a commencé à protéger les oiseaux ici, et mon père a pris la relève. Bien que leurs conditions de vie à cette époque fussent plus difficiles qu’actuellement, ils n’ont jamais capturé de hérons pour les vendre ou les manger. Dès tout petit, mon père me disait de préserver ce lieu, de protéger et d’aimer les oiseaux».

Nid de héron avec des jeunes tout juste éclôts.

Prises de bec avec les voisins

«Quand mon père est mort, beaucoup de gens sont venus dans la héronnière pour braconner, jours et nuits. J’avais 10 ans, et ça m’a fait du mal», explique Ngân. Mais arrivé à l’âge adulte, il a repris les choses en main. Il a débord posé aux quatre coins de la propriété des panneaux «Interdiction de chasser». Ensuite, il est venu à chaque maison pour demander aux enfants de ne pas tirer les oiseaux au lance-pierre. Il a même rencontré les directeurs d’écoles pour qu’ils sensibilisent les élèves à ce problème.

Des voisins lui ont demandé de capturer quelques oiseaux pour améliorer le quotidien. Refus catégorique du maître des lieux. Parfois aussi des cadres du district sont venus le voir avec la même requête : «quelques oiseaux... allez quoi M. Ngân, juste pour faire la fête ce soir...». Cadres ou voisins, tout le monde est reparti un peu froissé.

Sa femme confie : «Notre famille est loin d’être riche et on a parfois eu des difficultés pour boucler les fins de mois... Plusieurs fois on est venu nous voir en nous proposant 10-15.000 dôngs par oiseaux. Mon mari a toujours refusé. Je dois avouer que j’ai parfois été en colère, mais avec le temps j’ai compris que son combat était juste et donc je l’ai soutenu».

Le visage un peu triste, Ngân confie : «Certes on est un peu en froid avec les voisins, c’est le mauvais côté des choses. Mais mieux vaut perdre la sympathie des voisins que de perdre la confiance des oiseaux. Les gens ne comprennent pas que si les oiseaux partent d’ici, il sera difficile de les faire revenir».

L’aigrette blanche, une des quatre espèces de hérons nichant dans sa héronnière.
Photo : CTV/CVN

Crise du logement à la héronnière

Actuellement, la héronnière abrite des milliers de hérons de quatre espèces. Pendant la saison de nidification (d’avril à septembre), la surpopulation est telle que beaucoup de couples doivent aller chercher ailleurs un gîte, ce qui n’est guère facile tant la pression de chasse est élevée. En hiver, la héronnière voit ses effectifs grimper en flèche. Pour permettre à tout ce petit monde de se percher, Ngân a disposé horizontalement de longues perches de bambou. Actuellement, il est en train de planter de nouveaux cajeputiers pour résoudre la crise du logement. Tout ce qu’il fait, c’est par simple amour des oiseaux, il ne reçoit rien en échange.

Récemment, les autorités du district ont estimé que la héronnière de Ngân était une réserve naturelle privée rare dans la région, qui méritait à ce titre d’être protégée. Elles comptent faire le maximum pour aider la famille de Ngân à préserver et pérenniser ce patrimoine original, et en faire un espace de recherche et de découverte de la nature.

Dans un pays où la plupart des habitants n’accordent de la valeur aux oiseaux sauvages que sous forme de viande ou de bête de cage, l’exemple de Ngân n’en est que plus remarquable !

Phong Delon/CVN

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