Ce qui me charme le plus dans la culture lao c’est le khène, sorte d’orgue à bouche, formé de plusieurs tubes de bambou. Toujours présent dans la vie quotidienne et les cérémonies solennelles, il reflète à merveille l’âme lao.
Dans une étude sur le khène lao, Anne-Marie Gagneux nous apporte son témoignage à ce sujet : «Le khène fait partie de tous les buns ou fêtes populaires… À la Fête des pirogues ou des fusées, les exécutant du khène jouent en cortége, suivis de danseurs et de joueurs de tambourins. Dans les buns, sur les estrades, on regarde le +lam luang+ (théâtre chanté) dont le khène accompagne le récital. Dans la Cour d’Amour, les jeunes gens en jouent pour les jeunes filles tandis qu’ils s’échangent des propos en vers» (Bulletin des amis du royaume lao - N°6-1971).
Le khène, sorte d’orgue à bouche, formé de plusieurs tubes de bambou. |
Il y a une légende lao qui explique l’origine du khène.
Il était une fois, un roi qui, fatigué par la chasse, se reposait dans la forêt. Soudain, des chants d’oiseau flottant dans le vent dissipèrent sa lassitude. Émerveillé, il dit à ses soldats : «Celui d’entre vous qui aura créé un instrument de musique capable de reproduire ces sons aura une récompense royale». Le chef de sa garde promet de le lui faire. Rentré chez lui, il passe de longues journées à réfléchir sans trouver de solution. Revenu à la forêt, il écoute les oiseaux, le vent et l’eau qui cascade. Soudain, une idée faillit dans son esprit : il coupe quelques roseaux et les adapte à une grosse racine d’arbre, inventant le khène. Le roi, se sent ragaillardi au son de cet instrument, il lui donne le nom de khène (repos et relaxation).
Une autre explication sur l’origine du khène, moins poétique, serait plus vraisemblable. Il serait issu du vot, jouet paysan fait de flûtes de bambou qu’on fait tourner en l’air avec une ficelle, en le lançant d’une personne à une autre.
Au Laos, le khène se joue dans les grandes fêtes. |
Plusieurs variétés de khène
Le khène est réservé aux garçons qui apprennent à en jouer très tôt. Les plus doués s’initient à sa fabrication. L’apprentissage qui dure au moins un an obéit à des rites sacrés, parce qu’on croit à l’existence d’un génie-patron de l’instrument. Anne-Marie Gagneux émet cette hypothèse : «Il est évident, du jour où la fabrication du khène sera industrialisée, du jour où l’on sortira 300 khènes à l’heure, l’âme du khène, si chère aux Lao, ne sera plus là pour les guider. L’amour de la perfection musicale de l’artisan s’éteindra certainement, car ce dernier n’aura plus à +insuffler+ son ardeur de tout son fluide, au khène qui, jadis devenait en quelque sorte le prolongement de lui-même».
Je crois que cette hypothèse pessimiste faite il y a près d’un demi siècle ne s’est pas réalisée. Mais je suis certain que sous l’effet de la modernisation et de la mondialisation, le Laos a perdu pas mal de son charme de Shangri-La.
Par ailleurs, le khène est loin d’être l’apanage du peuple lao. Il est très populaire parmi les ethnies minoritaires établies en Chine du Sud, souvent au cours du dernier millénaire avant d’émigrer vers le Sud de l’Asie. Il y a plusieurs variétés de khène dont le nom chinois est chen. Si les sons du khène se situent entre l’harmonium et l’accordéon, les modèles sont très variés. J’ai trouvé le khène chez les La Hou, d’origine tibéto-bounane, de Muong Tè (province de Lai Châu, du Nord-Ouest vietnamien). Il est très petit et possède une gourde qui sert de caisse de résonance. J’ai rencontré le khène chez des H’Mông du groupe ethnique Miao-Dzao à Cao Bang et à Lào Cai. Il est plus apparenté au Cheng chinois. Il peut servir d’instrument rituel aux funérailles. Parfois le joueur exécute des mouvements acrobatiques en jouant un morceau.
Le khène est un instrument très apprécié non seulement au Laos mais aussi dans la région montagneuse Nord-Ouest Vietnam. |
Le khène, un instrument favori dans le Nord-Ouest
Chez les Thai et même les Tày de notre région Tây Bac (Nord-Ouest) montagneuse, le khène est l’instrument favori. Le célèbre musicologue Luu Huu Phuoc nous raconte comment il a découvrent la beauté du khène chez les Thai, les Tày et les Muong au cours de la guerre de résistance contre les Français : «Après la libération du Nord-Ouest, j’ai pu examiner de près le khène. En 1953, je fêtais le Nouvel An traditionnel chez les Muong de Nghia Lô. Selon la coutume, pendant une quinzaine de jours, les habitants se réunissaient chaque soir dans un hameau pour danser le xoè. La musique était jouée par un vieil artiste populaire. D’emblée je me suis épris de cet instrument aux sons suaves qui jouait des airs mélodieux accompagnés d’accords originaux et de longues notes +pédale+ dont les modulations amenaient des changements correspondants dans l’évolution des danseurs. Aux sons du khène, même les gosses et les grand-mères ne pouvaient s’empêcher de battre du pied le rythme de la mélodie.
(…) J’ai rencontre également un artiste Thai du khène à Yên Châu. Quand il jouait, il fermait les yeux à demi, perdu dans l’extase. Sa musique recelait un pouvoir d’expression extraordinaire. Quand il jouait l’air +En longeant le fleuve Ma+, nous oublions que nous étions assis dans une maison sur pilotis, nous ne voyions plus la lampe à pétrole à lueur blafarde, ni la bouilloire qui chantait sur le feu. Nous croyions entendre le murmure des flots tout proches. Nous rêvions des pas légers sur le berge au clair de lune» (Le Vietnamien en marche N°5-1962).
Huu Ngoc/CVN