Fière face ou faire face ?

Sous tous les cieux du monde, il existe des personnesqui ont besoin d’afficher leur richesse ou leur différence : c’est la frime. Au Vietnam, où l’apparence est d’importance, la frime est un art. Un art que j’admire, mi-amusé, mi-agacé.

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Frime pour la photo ou pour la beauté?
Photo : ST/CVN

Le mot vietnamien qui se rapprocherait le plus du sens de "frime", tel que je l’entends, serait "tu phu" qui signifie "prétentieux". Cette attitude qui consiste à vouloir montrer de façon ostentatoire ce que l’on possède et que l’autre n’a pas, en pensant être admiré. Tout le contraire de la modestie, en somme.

Il existe plusieurs sortes de frime et plusieurs façons de frimer. Petit tour d’horizon…

Jeune frime

La frime hormonale est sans doute la plus répandue et la plus universelle. Elle concerne cet âge de l’adolescence où, pour s’affirmer, garçons et filles choisissent d’affecter des attitudes et des apparences outrancières qui parfois frisent le ridicule.

Je ne peux m’empêcher de m’esclaffer en mon for intérieur quand je croise ces jeunes filles à la chevelure teinte d’un blond qui leur donne l’impression de s’être douchées à l’eau oxygénée. Le jaune paille va si mal à leur carnation mate et à leurs iris de jais que je m’interroge sur l’alchimie des messages subliminaux qui leur ont donné si mauvais sens de l’esthétique.

Pour les garçons, cette frime adolescente capillaire se présente sous différentes apparences. Horripilation, qui consiste à redresser les cheveux avec force profusion de gel, ou tonsure monacale, ne laissant subsister qu’un toupet devant le crâne, ou encore gallinacée qui conjugue les deux précédentes pour former une crête. Et si l’on ajoute à ceci la combinaison des formes de coiffure avec les teintures possibles, on obtient un éventail de possibles qui agrémentent la circulation routière. Car, bien entendu, comme nous sommes dans la frime, il faut que ça se voit, donc surtout pas de casques qui masqueraient ces preuves d’affirmation de soi.

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Il existe plusieurs sortes de frime
et plusieurs façons de frimer.
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Et je dois avouer que si cette absence de protection crânienne est dangereuse, elle me vaut de passer des moments agréables, quand je suis à l’arrêt à des feux de signalisation, à voir passer sous mes yeux ce kaléidoscope d’art capillaire. Car, c’est aussi une caractéristique de la frime hormonale que de ne pas respecter les consignes élémentaires du Code de la route. Et si je n’étais mêlé au flot des véhicules, je me tiendrais les côtes de rire, à voir ces apprentis adultes se déhancher sur leurs motos pétaradantes, zigzaguant au risque de leur vie, pour montrer à la terre entière que eux, ils savent piloter une moto. Et que ce n’est pas un bête feu rouge ou un stupide sens interdit qui va les arrêter. Surtout si derrière eux se tient une jeune fille également en pleine frime hormonale, qui est fière de montrer que son "mec" à elle, il sait piloter une moto, lui!

Douce frime

Une autre frime qui me fait sourire avec commisération, c’est la frime amoureuse.

Certes, le fait de marquer son territoire en tenant fermement par l’épaule ou par la taille la personne qui nous permet de constituer un couple, momentané ou permanent, est fréquent en Occident.

Par contre, il est extrêmement rare en Asie et au Vietnam en particulier: pudeur oblige. Et pourtant, depuis quelques mois, je vois fleurir ces couples qui brinquebalent dans les rues encombrées, quadripodes malhabiles qui, pour montrer leur union, ne veulent pas se désunir aux yeux du monde. Qu’importe le regard courroucé de tenants de la tradition, qu’importe la sueur qui coule entre les corps entrelacés (à 35°C et l’humidité, l’amour a des limites), qu’importe la surface occupée sur le trottoir…, il faut montrer que l’on s’aime ! Moi qui croyais que pour vivre heureux, il fallait vivre caché, il faut que je révise mes proverbes.

Frime pour la photo ou beauté naturelle?
Photo : CTV/CVN

Il y a une frime amoureuse plus subtile, mais tout autant distrayante à observer. C’est celle qui consiste à avoir à ses côtés, mais le plus souvent derrière soi, une créature superbe, à robe épousant le corps ou à short recouvrant peu de peau, en chaussures à talon le plus haut possible, et à la promener dans les restaurants, en ville, dans les soirées, bref, partout où l’on doit être vu. Cette frime-là est doublement amusante. D’abord par le spectacle charmant qu’elle offre, et ensuite par l’illustration qu’elle donne de ce proverbe vietnamien : "À défaut d’éléphant, on prend le buffle pour animal le plus gros".

Grosse frime

Une autre frime m’agace davan-tage. C’est la frime mécanique!

Il y a bien l’expression “Rouler des mécaniques”, qui caractérise ceux ou celles qui ont tellement peu confiance en eux et tellement peur des autres qu’ils se sentent obligés d’occuper plus d’espace que ce dont ils ont besoin. Comportement vieux comme le monde que de nombreuses proies choisissent pour faire fuir leurs prédateurs.

Celle-là me dérange peu, sauf quand le chien du voisin aboie comme un forcené parce qu’il a une peur bleue de moi depuis que je l’ai arrosé avec le jet glacé pour tempérer ses ardeurs amoureuses avec ma chienne.

Non, celle qui m’ennuie, c’est celle qui consiste à montrer son ascension sociale. Tant qu’il ne s’agissait que de circuler sur la dernière moto à la mode, rutilante de chrome et fardée de décalcomanies, cela m’importunait peu. D’autant plus que ces véhicules tendent à être moins bruyants et plus sûrs que des motos plus anciennes…

Mais, est arrivée l’ère de la voiture qui de véhicule utilitaire se transforme peu à peu en véhicule de prestance. Et quand je me trouve au milieu des embouteillages à l’heure de pointe, côtoyant les deux-roues de ceux qui pointent, frères d’inhalation des gaz d’échappement auxquels échap-pent ceux qui les émettent, je ne peux m’empêcher de penser que si l’apparence peut être trompeuse, elle est bien encombrante!

La frime s’invite jusque dans ma vie familiale. L’autre jour, mon épouse m’a fait part des remarques des voisins qui ne comprennent pas qu’avec un mari étranger, elle n’ait pas une moto dernier cri et une voiture…

Il va encore falloir que j’explique que je vais bien plus vite en moto qu’en voiture et que ce n’est pas la grosseur qui fait l’efficacité!


Gérard BONNAFONT/CVN

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