>>En quête de la véritable cuisine vietnamienne
>>Le repas familial au Vietnam, ses us et coutumes
Une moisson abondante. |
La locution vietnamienne «ăn trả/giả bữa» signifie : manger double pour compenser les repas qu’on n’a pas pris pour cause de maladie. Dès qu’un malade rompt avec sa diète pour récupérer ses bolées de riz habituelles, il est en bonne voie, il retrouve son équilibre physio-psychologique, se réintégrant dans son environnement culturel du riz.
Le Vietnam relève de la civilisation du riz dont l’habitat coïncide souvent avec l’aire du bambou. Dans son étude magistrale La terre et l’homme en Extrême-Orient (1), le géographe français Pierre Gourou analyse les traits caractéristiques des peuples rizicoles de l’Asie orientale entre le Mékong et le confluent Amour-Oussouri : une civilisation du végétal fondée plutôt sur la culture et non sur l’élevage, marquée par le climat des moissons, une technique agricole avancée, de fortes densités rurales, un idéal de sobriété et un esprit communautaire répondant aux impératifs de la cellule villageoise et légitimés par le confucianisme.
Environ 90% des surfaces agricoles du monde sont situées en Asie. La production de riz nourrit 40% de la population du globe. Les premières traces de la culture du riz au Vietnam remontent à la culture mésonéolithique de Hòa Binh-Bac Son. À l’âge du bronze (Ier millénaire av. J.-C.), la riziculture a connu un haut niveau de développement, ce qui a permis la floraison de la civilisation du fleuve Rouge. D’autre part, le Vietnam possède des traits communs à tous les pays rizicoles du Sud-Est asiatique : chique de bétel, maisons sur pilotis, tatouage, laquage des dents, jeux aquatiques, tambours de bronze, cerfs-volants, norias.
Le riz, aliment majeur du repas vietnamien
Le mot riz dans une langue occidentale peut prêter à confusion puisqu’il traduit plusieurs vocables vietnamiens : lúa ou cây lúa (plant de riz), thóc (paddy), gạo (riz décortiqué), cơm (riz ordinaire cuit), xôi (riz gluant cuit à la vapeur). Le riz, notre aliment de base, compte chez nous deux sous-espèces fondamentales : le riz dur ou riz ordinaire (gạo tẻ : Oryza sativa variété dura) et le riz gluant (gạo nếp : Oryza sativa variété glutinosa).
Apparu plus tard que le riz gluant, le riz dur a dépassé en importance le premier parce qu’il demande des sols moins fertiles tout en donnant des récoltes plus abondantes. Dans la plaine, le riz gluant est réservé au culte et à la pâtisserie. Les deux récoltes traditionnelles de riz sont celle du 5e mois lunaire (lúa chiêm, riz d’été), et du 10e mois lunaire (lúa mùa, qui est beaucoup plus important).
Les Vietnamiens mangent du riz comme les Français mangent du pain. Avec du riz, on peut confectionner à différents plats dont le riz aux graines de lotus. |
Photo : CTV/CVN |
La culture du riz au Vietnam, très aléatoire à cause des calamités naturelles (inondation, sécheresse, insectes) demande beaucoup de pratique, de peine et de patience à travers ses diverses opérations : semailles, labourage, hersage, déplantation et repiquage, irrigation, moisson, battage, vannage, blanchissage. Innombrables sont les légendes, les contes, les proverbes, les locutions, les chansons populaires inspirés par le riz. Nous insistons particulièrement sur ces joyaux de la littérature populaire que constituent les ca dao (chanson populaire) qui reflètent les peines du paysan :
«Ai ơi bưng bát cơm đầy,
Dẻo thơm một hạt đắng cay muôn phần»
(O vous qui tenez en main le bol de riz
Pour un seul grain, tendre et parfumé, dans votre bouche, que d’amertume !)
Ses amours :
«Hỡi cô tát nước bên đàng,
Sao cô múc ánh trăng vàng đổ đi ?»
(Hé ! La demoiselle qui manie l’écope au bord de la route,
Pourquoi prenez-vous la lumière de la lune pour la répandre ?)
Ou ses espérances :
«Rủ nhau đi cấy, đi cày,
Bây giờ khó nhọc có ngày phong lưu».
(Allons labourer et repiquer,
Les peines d’aujourd’hui se solderont par la prospérité de demain.)
Huu Ngoc/CVN
Note : (1) Réédité en 1972 (Flammarion, Paris)