Bénéficiant ces dernières années d’investisse-ments techniques considérables, les films d’animation «made in Vietnam» opèrent leur mue. C’en est fini de cette limitation aux extraits de contes populaires avec des leçons dogmatiques. Il faut dire que les enfants, nés à l’ère du numérique, en ont soupé...
L’Agence de production des films d’animation du Vietnam a investi dans la construction de salles obscures et la production sous forme de support DVD. |
«Aujourd’hui, en regardant les films d’animation vietnamiens, je ne vois plus ces scènes lourdes et récurrentes avec par exemple deux lapins, l’un honnête et travailleur, l’autre fourbe et paresseux, avec un ours faisant office d’arbitre pour donner des conseils ou des leçons d’éducation», observe un père d’une fille de six ans à Hô Chi Minh-Ville.
Une qualité reconnue...
La production des films d’animation attire de plus en plus d’auteurs. S’il y a quelques années, seule l’Agence de production des films d’animation du Vietnam (APFV) restait fidèle à cette activité, ces dernières années, de nouveaux venus s’y sont engagés telles que l’agence de films Giai Phong (Libération), la société de production de films de l’Association des cinéastes du Vietnam, la Sarl privée Bamboo Animation, et bien d’autres encore.
Lors des festivals ou prix cinématographiques nationaux, les films d’animation du Vietnam sont appréciés en termes de qualité artistique par les jurys et les professionnels. La plupart des films en compétition décrochent des récompenses. Lors du Prix national «Cerf-volant d’Or» 2012, trois films Càng to càng nho (Histoire d’un crabe), Le héros Trân Quôc Toan, Bù nhin rom (L’épouvantail en paille) ont été primés. Lors de la 2e édition du Festival international cinématographique en décembre 2012 à Hanoi, le film Bo vàng (Le bœuf jaune) a reçu le prix spécial du jury, avant d’être honoré lors de la 18e édition du Festival national du film en octobre 2013, dans la province de Quang Ninh.
Dans ces productions de qualité, les critiques cinématographiques observent des progrès visibles de la part des réalisateurs. Les films de l’APFV produits en 2012 ont été salués tant pour leur haute qualité artistique que les valeurs humanistes qu’ils véhiculent.
... mais des limites technologiques
Malgré des efforts certains dans l’amélioration des contenus et les techniques de montage en vue d’optimiser les effets visuels, les films d’animation vietnamiens restent toujours en marge des productions étrangères, qui règnent sur les écrans, que ce soit au cinéma ou à la télévision. Même chose pour les supports CD vidéo et DVD, les productions domestiques étant bien plus limitées technologiquement parlant, avec un rendu visuel qui s’en ressent largement. Et la donne ne semble pas prête de changer.
Une scène du film Càng to càng nho (L’histoire d’un crabe). |
Les producteurs des films d’animation se sentent quelque peu décontenancés en écoutant les propos de cette Vietnamienne mère d’un enfant à l’école primaire : «Chaque soir, après avoir fini ses devoirs, mon fils regarde un peu la télé. Il ne regarde que les chaînes enfantines étrangères. Ses programmes préférés sont les dessins animés et films d’animation diffusés par les chaînes BiBi, Disney Channel et Cartoon NetWork».
Si la demande existe bel et bien : «Nous ne savons pas comment faire pour attirer les petits téléspectateurs. Nous en sommes peut-être incapables actuellement...», concède Dang Vu Thao, président du Conseil d’administration de l’APFV.
D’après ses explications, bien que les sociétés de production bénéficient d’investissements considérables en matière d’équipements et d’infrastructures techniques et technologiques, elles ont toujours un train de retard. Car, les productions étrangères s’avancent très loin dans ce domaine, notamment dans les technologies 3D que le Vietnam commence tout juste à explorer.
Capter les attentes du public
Conséquence, un cercle vicieux s’instaure : le manque de professionnalisme dans toutes les étapes de production entraîne une pénurie de commandes. l’APFV se contente chaque année de la sortie d’une dizaine de films d’une durée totale de 200 minutes. En 2013, seuls 16 sont sortis... Puis, la production limitée décourage au fur et à mesure les professionnels qui ne disposent que d’un terrain très restreint pour valoriser leur talent, et, enfin, cette réalité fait que les enfants vietnamiens n’ont que de très rares occasions de visionner les productions domestiques, qui souffrent déjà d’une mauvaise réputation. La boucle est bouclée...
Comment faire pour attirer le jeune public, un casse-tête pour les producteurs des films d’animation du Vietnam. |
Plusieurs distributeurs de téléfilms refusent les films d’animation vietnamiens car ils ne sont pas accrocheurs. Outre une structure le plus souvent brouillonne, les scènes se déroulent de façon monotone et prévisible, sans aucun effet de surprise ou de retournement de situation susceptibles de capter l’attention du jeune public. En bref, on s’ennuie.
En effet, les scénaristes des films d’animation commettent les mêmes erreurs que les auteurs vietnamiens de littérature de jeunesse. Dans la plupart des cas, le tout manque de rythme, alors qu’un film d’animation doit enchaîner rapidement les dialogues et les situations pour séduire son auditoire.
«Moi, je préfère Doreamon ou Sailor Moon (du Japon) aux films d’animation du Vietnam», nous dit la petite Hanoïenne Linh Thao, huit ans. Donnant ses explications, elle dit simplement que les personnages dans ses films préférés ont une vie intéressante et lui permettent de découvrir beaucoup de choses. Et d’ajouter : «Ils vont à l’école comme moi. Ils ont une famille et des amis qui ressemblent aux miens».
La scénariste Trinh Thanh Nha en a tiré des enseignements. Elle sait que la clé d’un bon scénario réside dans la compréhension du monde enfantin, de savoir ce que les enfants veulent, ce qu’ils pensent, ce qu’ils attendent. Il faut aussi parler le même langage.
Malgré une qualité reconnue, la plupart des films primés lors des festivals n’ont toujours pas trouvé le chemin des salles obscures et du petit écran. Après quelques projections disparates, ils sont remisés au placard pour ne jamais en ressortir. Le principal élément d’explication vient de leur durée, trop courte (10, 15 ou 30 minutes) pour qu’ils soient diffusés dans les salles de cinéma (80 minutes minimum) ou à la télévision (qui exige de nombreux épisodes). Mais produire des films d’animation de longue durée exigerait des moyens beaucoup plus conséquents, sachant qu’actuellement, il faut entre huit et dix mois, voire un an à l’APFV pour produire un film de dix petites minutes.
Pour sortir de l’ombre
Les producteurs travaillent néanmoins dur pour que la situation change. Niveau durée, ils se lancent dans la réalisation de films de 30, voire 60 minutes.
L’APFV a aussi investi dans la construction de salles obscures propres à ce type de films. Actuellement, elle en gère deux, l’une de 70 places et l’autre de 150 places au service des projections sur contrat des écoles à son siège au 7, rue Trân Phu (Hanoi). Mais l’APFV a demandé l’autorisation de commercialiser des places au public le weekend, histoire de rentabiliser - ne serait-ce qu’en partie - l’investissement. Dans l’avenir, une ou deux salles aux technologies 3D seront construites. En outre, la production sous forme de support DVD est privilégiée. En outre, la production sous forme de support DVD est privilégiée. Outre la distribution commerciale générale, l’APFV gère un magasin de vente de DVD, toujours au 7, rue Trân Phu, Hanoi. Les agences de production de films d’animation cherchent aussi à distribuer leurs produits sur Internet. Plusieurs contrats ont été signés avec des gestionnaires de sites web pour la projection payante en ligne. Trois opérateurs de téléphonie mobile ont signé le contrat d’exploitation de la Réserve des films d’animation de l’APFV. Mais il faudra très certainement encore patienter avant que le Vietnam rattrape ses concurrents et puisse rivaliser avec eux.
Texte et photos : Bùi Phuong/CVN