>>Venise touchée par une "acqua alta" historique
Un couple assis sur des chaises de café observe la place Saint-Marc inondée, à Venise le 14 novembre. |
Chaises, bottes, parapluies et objets souvenirs exposés en plein soleil : les 50.000 habitants du centre historique ont profité d'une embellie pour tenter de faire sécher leurs logements ou le contenu de leurs échoppes.
La marée haute du matin a été plutôt modérée, atteignant 1,13 m (à 10h30), loin des 1,87 cm de mardi soir 13 novembre, le deuxième record historique derrière celui du 4 novembre 1966 (1,94 m).
Grâce à ce répit, l'humeur était plutôt joyeuse, les touristes s'amusant à sillonner l'immense place Saint-Marc chaussés de bottes en plastique, orange, bleues ou jaunes, ou à siroter un café les pieds dans l'eau dans les quelques bars ou restaurants ouverts.
La Sérénissime, le surnom de cette cité lacustre, reçoit 36 millions de touristes par an dont 90% d'étrangers.
Pour Manon Gaudre, voir Venise sous les eaux est "une expérience unique" mais cette touriste française de 22 ans s'inquiète des "dégâts aux monuments et aux personnes".
La Basilique Saint-Marc ou le théâtre de la Fenice ont en effet été la proie d'une eau boueuse et salée venue de la lagune.
Des dégâts énormes
Cornelia Litschauer, une Autrichienne de 28 ans, son chihuahua blanc Pablo dans les bras, juge aussi la situation "étrange : les touristes prennent des photos mais la ville souffre".
Une personne passe sur la Place Saint-Marc inondée, à Venise le 14 novembre. |
Des hôtels dont la Locanda Al Leon commencent à déplorer des annulations pour les fêtes de fin d'année.
Dans la séquence de marées actuelle, le dernier pic périlleux, d'1,45 m, est attendu pour vendredi 15 novembre vers 11h20 (10h20 GMT), selon le Centre de surveillance de la mairie. De fortes averses et du vent sont en outre annoncés sur toute la région.
Après une réunion de crise à la préfecture, le Premier ministre Giuseppe Conte a parcouru les canaux qui ont rendu Venise célèbre dans le monde entier, pour réconforter les commerçants, nombreux à garder portes closes, comme les musées et les écoles.
"Le cabinet a approuvé l'état d'urgence à Venise", a-t-il écrit en début de soirée M. Conte dans un tweet, ajoutant que 20 millions d'euros allaient être débloqués "pour les interventions les plus urgentes".
Cette procédure, souvent utilisée dans une Italie régulièrement frappée par des désastres (séismes, éruptions volcaniques et glissements de terrain), dote le gouvernement de "pouvoirs et moyens exceptionnels".
Les dégâts, d'ores et déjà chiffrés à "des centaines de millions d'euros", devront donner lieu à des évaluations précises, mais, en attendant, le décret permettra "immédiatement" de verser "5.000 euros pour les particuliers et 20.000 euros pour les commerces", selon M. Conte.
"Une aventure"
Un comité spécial sur Venise se réunira aussi le 26 novembre pour "discuter de la gestion générale des problèmes", dont un plan de contournement du centre historique pour les paquebots de croisière et le méga-projet Moïse de digues censées protéger la lagune.
Les responsables politiques affluent au chevet de la Sérénissime : l'ancien Premier ministre Silvio Berlusconi y est allé jeudi 14 novembrre, l'ex-ministre de l'Intérieur de la Ligue (extrême droite) Matteo Salvini devrait s'y déplacer vendredi 15 novembre.
Indifférents à ce ballet, les Vénitiens se réorganisent.
"Je vis de ça, que puis-je faire d'autre ?", explique à l'AFP Stefano Gabbanotto, 54 ans, en ouvrant près du Palais Ducal son kiosque à journaux.
Pour Jay Wong, 34 ans, et sa fiancée Sabrina Lee, leur voyage à Venise s'est transformé en "une aventure" et "une bonne expérience".
Multipliant photos et vidéos de sa promise en robe de mariée, Jay souligne que "le séjour était planifié depuis longtemps, nous n'aurions pas pu le changer".
Comme la plupart des visiteurs, ils sont peu au fait du risque d'engloutissement que court la Cité des Doges, bâtie sur 118 îles et îlots en majorité artificiels et sur pilotis. La ville s'est enfoncée de 30 cm dans la mer Adriatique en un siècle.
Moïse pour sauver Venise ?
Pour le ministre de l'Environnement, Sergio Costa, la fragilité de Venise s'est accrue en raison de la "tropicalisation" de la météo, avec d'intenses précipitations et de fortes rafales de vent, liée au réchauffement climatique.
Les écologistes montrent aussi du doigt l'expansion du grand port industriel de Marghera, situé en face sur la terre ferme, et le défilé des bateaux de croisière géants.
L'"acqua alta" record de mardi 13 novembre a submergé 80% de la cité lacustre, provoqué la mort d'un septuagénaire, renversé des gondoles et des vaporetti (autobus fluviaux) et entraîné plus de 400 interventions des pompiers.
De nombreux responsables dont le maire de Venise Luigi Brugnaro ont appelé à mettre en service "au plus vite" le projet de digues MOSE (Moïse en italien, acronyme de Module expérimental électromécanique).
"Cet ouvrage d'ingénierie va finir par coûter six milliards d'euros, il faut le faire fonctionner", a estimé la ministre des Infrastructures Paola de Micheli.
Lancé en 2003 et retardé par des malfaçons et des enquêtes pour corruption, Moïse s'appuie sur 78 digues flottantes qui se relèvent et barrent l'accès à la lagune en cas de montée de l'Adriatique jusqu'à trois mètres de hauteur. De récents tests ont permis d'identifier des vibrations et de la rouille mais, selon M. Conte, il est "prêt à 93%" et sera "achevé au printemps 2021".
AFP/VNA/CVN