>>Bassin d'Arcachon: les huîtres de nouveau consommables, pas les moules
Huître équipée d'électrodes dans un aquarium du CNRS à Arcachon, le 5 septembre. |
Le mollusque bivalve "est très bien outillé pour goûter la qualité de l'eau qu'il filtre toute la journée" et réagir à la moindre fuite d'hydrocarbure émanant de plateformes offshore ou de raffineries dans les estuaires de l'hexagone, explique Jean-Charles Massabuau, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Il planche sur le sujet depuis 2011. C'est lui qui, le premier, a établi que l'huître réagissait au son, et montré avec l'Université de Bordeaux, comment on peut l'utiliser comme "biocapteur de l'eau".
Dans la deuxième station marine la plus ancienne au monde, le laboratoire exigü est plongé dans le noir pour les besoins de l'expérience. Entre paillasses et microscopes, le biologiste scrute dans l'aquarium le comportement d'une douzaine d'huîtres connectées à des électrodes, sur une "table isolante", faite de bric et de broc (plaques de polystyrène et béton, balles de tennis et chambres à air). Le tout planté dans des boîtes de conserve remplies de sable. Ici, on applique la "méthode valvométrique" permettant de mesurer en temps quasiréel les cycles d'ouverture et de fermeture des valves de l'huître. Objectif: déterminer à distance l'état de santé de l'animal pour fabriquer un indicateur de la qualité de l'eau.
L'huître est le cobaye idéal. Sédentaire, elle peut être facilement suivie en temps réel dans son milieu naturel, "et n'a rien d'autre à faire que de capter le bruit ambiant, les variations de température ou de lumière", selon le scientifique. Son hypersensibilité fait d'elle un excellent lanceur d'alerte, bien avant que ne survienne une marée noire. L'hyperactivité des valves est un premier signal d'alerte. Comme chez l'Homme, le stress peut modifier les rythmes du sommeil, de la reproduction, et même l'appétit.
"L'électrode collé sur la valve envoie des signes à chaque mouvement, relayés par un ordinateur - conçu par le laboratoire - qui les transforme en alerte", explique le scientifique. La réponse du mollusque est immédiate et d'autant plus forte que la concentration de pétrole est élevée. Une observation éprouvée en mer de Barents, et dans les canaux artificiels du site de Total à Lacq (Pyrénées-Atlantiques).
Le géant Total intéressé
Car Total n'a pas tardé à s'intéresser aux travaux de cette petite cellule de biologistes, mathématiciens et informaticiens, lui apportant son soutien financier.
Jean-Charles Massabuau, directeur de recherche au CNRS, observe des huîtres équipées d'électrodes dans un aquarium du CNRS à Arcachon, le 5 septembre |
La valvométrie est un outil prometteur "pour le suivi industriel de la qualité des milieux aquatiques autour de nos installations", et pour une détection "très précoce" de possibles fuites "silencieuses", assure Philippe Blanc, responsable de la lutte anti-pollution, chez Total. La multinationale, partenaire du laboratoire depuis 2012, a donc conclu "des accords contractuels" avec l’Université de Bordeaux et le CNRS, pour amener cette technologie "au niveau d’un outil industriel performant, fiable et reconnu". Une collaboration, représentant "un investissement en dépenses externes d’environ 1,7 million d'euros", selon Total.
Après un premier "pilote" sur le champ d'Abu Al Bukhoosh, au large d’Abu Dhabi où des huîtres perlières ont séjourné 14 mois sous une plateforme pétrolière, Total veut en équiper d'autres "sur le champ d’Al Khalij au Qatar". Mais ce partenariat peut être "à double tranchant" pour le géant pétrolier, bête noire des écologistes. "Car l'huître peut révéler beaucoup de choses", prévient Jean-Charles Massabuau.
"Pour redorer une très mauvaise image de marque, ajoute-t-il, Total cherchait des techniques et des hommes pouvant servir de référents, afin de montrer les efforts qu'il essaie de faire pour être plus propre". Mais plutôt qu'une "caution scientifique", le chercheur préfère être une "garantie crédible". "À condition toutefois que l'industriel s'engage à résoudre concrètement, en étroite concertation avec le laboratoire, et en toute transparence, tout problème éventuel de pollution aussitôt qu'il serait détecté". "Parce que moi, insiste le biologiste, mon problème c'est que la mer soit plus propre, et les industriels aussi".