>>Les fleurs «oubliées» font leur retour
Le village de fleurs de Ngoc Hà dans les années 1990. |
Le Têt, Nouvel An vietnamien, approche. Après de vaines recherches dans les marchés de la capitale, mon amie Sbeintre Lê Hà me confie, non sans une pointe d’amertume : «Impossible de trouver des fleurs de pêcher à pétales rose tendre ni des branches de pêcher au port altier». Les gens de Nhât Tân préfèrent vendre la viande de chien et vendre leur terre aux hôteliers. Par ces temps de marché libre, les fleurs ne rapportent plus.
La floriculture à Hanoï
Nhât Tân est un village faubourien au bord du lac de l’Ouest, spécialisé dans la culture des pêchers dont les branches fleuries ornent chaque foyer comme l’arbre de Noël en Occident. Les fleurs graciles disent beaucoup de choses : on leur attribue des pouvoirs anti-maléfiques, leur couleur rose est un symbole de bonheur et de prospérité, elles rappellent au lettré imbu d’humanités chinoises(1)
la rencontre de deux étudiants avec des fées au Pays des Pêchers.
Tandis que la préférence populaire va aux pétales simples et carminés, les connaisseurs affectionnent particulièrement l’espèce à pétales doubles et le rose pâle. D’autres fleurs font le charme du Têt : le chrysanthème classé fleur «noble», le narcisse considéré comme «Fée des eaux» (thuy tiên) et très rare aujourd’hui, le hai duong (Thea amplexicaulis) aux gros boutons rouge vif, le camélia rouge ou jaune, l’œillet d’Inde dont le nom vietnamien (cuc van tho) évoque la longévité, la fleur blanche de prunier.
Depuis très longtemps, plusieurs villages au bord du lac de l’Ouest cultivent les fleurs pour les Hanoïens : Nghi Tàm, Ngoc Hà, Nhât Tân, Quang Ba... On peut amasser beaucoup d’argent à l’époque du Têt. Mais le métier de floriculture ne manque pas d’aléas, surtout à cause des caprices de la météo. Il suffit d’un froid prolongé ou d’un peu trop de soleil pour que les fleurs s’épanouissent trop tard ou trop tôt. De même, les clémentines (quât) jaune d’or doivent mûrir à temps.
Actuellement, la floriculture à Hanoï perd du terrain. Plusieurs villages de fleurs se concentrent dans le soin des jardins floraux au service de la photographie. |
Photo : Trinh Bô/VNP |
Des champs expropriés pour l’urbanisation
Mais les temps ont changé. Nghi Tàm, probablement berceau de la culture florale de la région, s’est tourné vers les poissons rouges et les bonsaïs depuis quelques décennies. Les autres villages l’ont imité. On cultive moins les fleurs, les bonsaïs sont plus payants. Les compagnies, les hôtels et les nouveaux riches sont prêts à débourser jusqu’à 500 dollars pour un bonsaï majestueux. Mais, c’est la spéculation foncière qui constitue la plus grande menace pour la survie des fleurs. Ngoc Hà abandonne pratiquement la culture florale puisque 1 m2 de terre s’y vent 500 dollars.
Businessmen étrangers et vietnamiens, spéculateurs de tout poil bâtissent à qui mieux mieux des hôtels, des restaurants, des bureaux, des villas de villégiature. À tel point que les nouvelles constructions qui chevauchent sur la digue du fleuve Rouge à l’ouest de Nghi Tàm et de Nhât Tân pourraient causer de graves inondations. Les traditionnels villages de fleurs de Hanoï résisteront-ils longtemps à l’assaut d’un modernisme barbare ?
En attendant, les fleurs émigrent vers les villages sur l’autre rive du fleuve Rouge et au sud de la ville. Vinh Tuy, qui a adopté la culture des fleurs depuis le début des années 80, a émergé comme centre important de floriculture depuis les années 90-91. Mais un sào (360 m2) de fleurs rapporte annuellement de 20 à 25 millions de dôngs, c’est-à-dire dix fois plus que l’ancienne plantation de légumes. Mais le mètre carré de terre monte déjà à 60 dollars. La tentation est si forte qu’on ne sait si Vinh Tuy continuera à planter des fleurs. Ainsi, faudrait-il s’attendre à de nouveaux exodes des fleurs de Hanoï.
Huu Ngoc/CVN
(1). L’idéal est que toutes les fleurs d’une branche plantée dans un vase s’ouvrent le Jour de l’An. Cela apporte bonheur.