«Peu de choses ont changé depuis son ouverture en 1910, et sa dernière rénovation date de 1958», fait savoir Guido Gryseels, directeur du musée de l’Afrique centrale de Tervuren. Photo : AFP/VNA/CVN |
On y respire «l’Afrique de papa», celle de l’homme-léopard, des aventuriers et des plantations : le temps s’est arrêté au musée africain de Bruxelles, qui veut désormais se débarrasser de son image de «dernier musée colonial» d’Europe.
Le 30 novembre, les lourdes portes de Musée de l’Afrique centrale (MRAC) de Tervuren, dans la banlieue verte de la capitale belge, se fermeront jusqu’à mi-2017. Le temps nécessaire pour rénover de fond en comble et changer l’esprit de ce château construit au début du XXe siècle par le roi Léopold II.
Depuis un siècle, les visiteurs y sont accueillis par les imposantes statues d’une belle femme blanche, cheveux au vent, et d’un grand missionnaire portant un petit Africain. En dessous, le panneau proclame fièrement: «La Belgique apporte la civilisation au Congo».
«Il est facile de comprendre pourquoi nous sommes considérés comme le dernier musée colonial», explique Guido Gryseels, directeur du MRAC : «Peu de choses ont changé depuis son ouverture en 1910, et sa dernière rénovation date de 1958».
L’immense bâtiment néoclassique a conservé le charme désuet des musées d’antan, avec ses vitrines mal éclairées, ses animaux empaillés et ses sols parquetés qui craquent.
Histoire apaisée
Doté de collections extrêmement riches, dont 150.000 objets ethnographiques, il attire quelque 130.000 visiteurs par an. Ils y admirent une impressionnante pirogue longue de 22 mètres et la statue effrayante de l’homme-léopard, popularisé par Hergé dans Tintin au Congo.
«Ce musée montre comment l’homme blanc voyait l’Afrique il y a un siècle, au temps de la colonisation triomphante», témoigne Joseph Djongakodi Yoto, qui représente les associations de la diaspora africaine au sein du musée.
Sur un grand mur, sont inscrits 1.500 noms de Belges morts au Congo. «Il n’y a pas un seul nom de Congolais, même de ceux ayant combattu aux côtés des Belges», regrette le chercheur.
Vue générale du musée de l’Afrique centrale de Tervuren. |
Pour la direction, le défi est de réinventer le musée tout en conservant les signes omniprésents à la gloire du Congo belge, indestructibles car le bâtiment est classé monument historique. «C’est un casse-tête», reconnaît M. Gryseels. «Nous allons essayer de retrouver un équilibre avec la muséographie en adoptant un regard critique sur l’histoire et en consacrant une grande place à l’Afrique centrale d’aujourd’hui».
Cette modernisation est rendue possible par l’évolution du regard des Belges sur la colonisation du Congo, un territoire 80 fois plus étendu que leur royaume. «Cela aurait été beaucoup plus difficile il y a 15 ans. L’évocation du passé colonial est longtemps restée très émotionnelle en raison du grand nombre de Belges ayant vécu en Afrique centrale», souligne M. Gryseels.
Pour David Van Reybrouck, auteur du livre à succès Congo, une histoire, les Belges ont trouvé, ces dernières années, «une façon plus adulte de regarder leur passé colonial, sans verser ni dans le triomphalisme colonial ni dans l’auto-flagellation postcoloniale».
Le musée de Tervuren, qui emploie une centaine de chercheurs, y a contribué en organisant des expositions sur l’indépendance de 1960 vue par les Congolais ou sur le bilan de la colonisation, sans cacher le travail forcé et les déplacements de population.
Son évolution rappelle celle du «palais de la Porte dorée» à Paris, construit pour l’Exposition coloniale de 1931. Après avoir servi d’écrin au Musée des Arts d’Afrique et d’Océanie, il abrite depuis 2007 la Cité nationale de l’histoire de l’immigration (CNHI), destinée à partager l’histoire des migrants arrivés en France depuis deux siècles.
En Belgique, le débat sur la colonisation a été entretenu par une longue polémique judiciaire lancée par un ressortissant congolais jugeant que Tintin au Congo était «un album raciste» car il représentait «l’homme noir» comme étant «paresseux ou idiot». La justice l’a débouté en 2012.
Une enquête est en revanche toujours en cours sur la responsabilité de Belges dans l’assassinat en 1961 de Patrice Lumumba, le héros de l’indépendance congolaise. En 2001, la Belgique a reconnu sa «responsabilité morale» et présenté ses excuses, mais aucune poursuite n’avait été engagée jusqu’à ce que la famille de Patrice Lumumba saisisse les tribunaux dix ans plus tard.
AFP/VNA/CVN