Les tourments d’un éminent lettré 

Étrange destinée que celle de Hoàng Xuân Han, homme du science moderne et lettré traditionnel, amoureux de son pays pour lequel il a œuvré toute sa vie mais s’exilant à l’étranger pendant les quarante dernières années de sa vie (suite).

>>Les tourments d’un éminent lettré
Il me souvient d’avoir lu son câu dôi (couple de sentences parallèles) en idéogrammes vietnamiens nôm qui figure dans le jardin Zen de la pagode vietnamienne Villebon Yvette à 25 km de Paris :
Thể gửi xứ người nương cửa Phật
Hồn về đất Việt viếng quê nhà.

(Le corps, à l’étranger, s’abrite à l’ombre de Bouddha.
L’âme, au pays Viêt, rentre pour regagner le village natal)
Ce distique dit le drame, le dilemme, le tourment de la vie de Hoàng Xuân Han. Sa résolution de mourir à l’étranger a été prise sans doute au prix d’une lutte intérieure longue et pénible.

Le Pr. Hoàng Xuân Han a un amphithéâtre à son nom à l’École des ponts et chaussées (France).

Un programme d’enseignement spécifique
Après de brillantes études universitaires en France, Hoàng Xuân Han rentre au Vietnam en 1936 d’abord pour enseigner au lycée du Protectorat, ensuite dans de hautes écoles scientifiques tout en poursuivant ses recherches sur notre pays. Quelques temps après le coup de force japonais du 9 mars 1945 renversant l’administration coloniale française, il est ministre de l’Éducation et de l’Art du gouvernement Trân Trong Kim. Il profite de son bref mandat (d’avril au 20 août 1945) pour inaugurer un enseignement en langue vietnamienne et nom plus en français, et mettre au point un programme d’enseignement primaire et secondaire spécifiquement vietnamien.
Ces réformes importantes seront poursuivies par le gouvernement révolutionnaire de Hô Chi Minh qui proclame l’indépendance du Vietnam le 2 septembre 1945 au lendemain de la Révolution d’Août 1945.
La reconquête française marque un arrêt des hostilités avec l’accord du Mars 1946. Hoàng Xuân Han accepte de faire partie de la délégation de la nouvelle république vietnamienne à la conférence franco-vietnamienne de Dà Lat (août 1946) qui échoue dans son intention de rapprocher les points de vue de Hanoi et de Paris. La guerre reprend le 19 décembre 1946.
Ne pouvant rejoindre le maquis, il vit dans la semi-clandestinité dans la région occupée pour s’exiler définitivement à Paris en 1951. Pendant les quatre dernières décennies de sa vie en France, il a rendu un service immense à son pays par ces travaux de recherche et ouvrages d’érudition. Il a reçu la Médaille Dôc lâp (Indépendance) réservée aux vaillants combattants du maquis.

Le lycée du Protectorat où Hoàng Xuân Han enseignait en 1936.


Pourquoi Hoàng Xuân Han a-t-il plus d’une fois décliné l’invitation de ses amis et du gouvernement vietnamien à revenir au pays pour le servir directement pendant et après la guerre, lui dont le patriotisme ne peut être remis en cause ? Lors de la conférence de Genève, il est sollicité par les deux parties vietnamiennes advenues. Il décide d’aller au Vietnam pour faire un travail de persuasion en vue de la réconciliation nationale. Mais il se rend compte que son projet est utopique, le Vietnam étant pris dans l’engrenage interactionnel de la guerre froide.
Corps à l’étranger, âme au pays natal

Il reste donc à l’étranger afin d’œuvrer pour les valeurs durables de l’identité vietnamienne. Sa lettre à l’écrivain Nguyên Duc Hiên en 1996, deux ans avant sa mort, nous éclaire à ce sujet :
«Vous (dans le pays) et moi (hors du pays) sommes dans le même bateau, sans cesse préoccupés par le sort de notre pays depuis 60-70 ans. Point n’est besoin de longues discussions puisque nous sommes en parfaite communion intellectuelle et sentimentale. Toujours sur la proue, vous avez affronté les bourrasques, surmontant mille dangers pour parvenir aujourd’hui au port : l’essentiel, ce sont l’indépendance et la réunification.
Quant à moi, bien que vivant dans des circonstances différentes, je me suis toujours efforcé de rester fidèle à mon pays, prêt à le servir en vue d’un avenir durable pour notre peuple dans un monde de paix. J’ai eu l’occasion d’exprimer mes pensées dans mon écrit +Souvenirs de la Conférence de Dà Lat+, mon poème saluant le printemps après 1975. Nous vivons aujourd’hui dans la paix, ce qui fait que souvent le Sentiment prime la Raison. Je sais que vous avez subi des pertes irréparables au plan familial à cause de la guerre. Soyez rassurés que je partage votre douleur parce que j’en aussi victime.
Il m’est arrivé de vouloir rentrer seul au pays. Mais mon épouse et moi allons quitter la vie, nous avons vécu ensemble heurts et malheurs depuis une soixantaine d’années. Je n’ai pas le cœur de la laisser seule. Je suis maintenant vieux, malade, affaibli. J’ai peur de ne pouvoir revoir mon village natal. D’ailleurs, le village natal avec sa véritable physionomie, hélas, n’existe plus pour moi : Telle est la vérité. Mais le pays, le pays ne quitte jamais ma mémoire.
Les circonstances ne m’ont pas permis de participer à la libération du pays, je me suis alors dépensé sans compter pour contribuer à libérer nos compatriotes au point de vue intellectuel et culturel, les faire sortir de cette cage étroite et dépouillée de l’homme asservi
».

Le lycée du Protectorat est devenu aujourd'hui lycée Chu Van An.


Un patriote sans parti
Hoàng Xuân Han passe en revue les travaux concrets entrepris depuis l’époque coloniale pour réaliser son intention. Patriote sans parti, Hoàng Xuân Han a fait une remarque judicieuse au sujet du caractère de notre récente guerre de libération (1946 - 1975) en la comparant avec nos anciennes guerres contre les invasions étrangères :
«Sous la conduite de l’Oncle Hô, vous avez rendu l’indépendance et l’unité au pays. Aux yeux de l’histoire, au long de toute son existence, notre nation n’a vécu que deux expériences pareilles. La reine Trung Trac libérant le pays de l’occupation chinoise des Han pour une courte durée. Ngô Quyên, comme Lê Hoàng, Ly Thuong Kiêt, Trân Hung Dao, Nguyên Huê n’ont fait que repousser l’invasion (XVe siècle), ce qui a néanmoins eu le mérite de chasser les Ming dont l’occupation était assez brève et l’armement pareil au nôtre.

Seule notre récente guerre de libération était beaucoup plus ardue, mais notre peuple a réussi à vaincre. C’est grâce à l’Oncle Hô avec son amour du pays, sa clairvoyance, ses riches expériences permettant de s’arrêter à temps dans toute entreprise. Grâce à lui, notre pays est aujourd’hui indépendant et réunifié. Je pense que le leadership de notre pays suivant son exemple de modération alliée à la fermeté, n’aura pas tardé d’apporter à notre nation à ses deux aspirations : le bien-être matériel et la liberté au point de vue moral».

Huu Ngoc/CVN

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