Les fêtes traditionnelles: choc entre passé et présent

Les fêtes traditionnelles peuvent souffrir des outrages du temps. Pour en préserver l’authenticité et limiter les dérives, il importe d’être attentif à leur organisation. Entretien avec Lê Hông Ly, membre du Conseil national du patrimoine culturel et ancien directeur de l’Institut de recherche culturelle.

>>Oui aux fêtes traditionnelles, non à la foire d’empoigne!

>>Bienvenue à la fête de la pagode des Parfums

>>Fête des labours pour prier pour des récoltes exceptionnelles

Du point de vue d’un chercheur culturel, quelles sont, selon vous, les valeurs authentiques des fêtes traditionnelles?

Les fêtes traditionnelles sont porteuses de sens pour les Vietnamiens, ce qui leur permet de trouver un équilibre dans leur vie spirituelle. Assister à ces manifestations, notamment lors de la période de printemps, est une manière de se ressourcer, se relaxer et offre l’occasion de prier pour que la Nouvelle Année soit la plus merveilleuse possible. C’est aussi le moment d’échanges de vœux.

Grâce à ces rendez-vous rituels, les identités culturelles des différentes communautés ethniques du pays sont préservées. Ces événements, caractérisés par des rassemblements, des banquets communs, des démonstrations de chants, de danses et de jeux populaires, ancrent le sentiment d’appartenance à une communauté, un village et une région. Fondamentalement, ces fêtes contribuent à la cohésion sociale.

Pour autant, il ne faut pas oublier leur signification historique. En participant à ces événements, les Vietnamiens peuvent mieux appréhender l’histoire de leur pays. Autrefois, c’était grâce aux transmissions orales et aux représentations théâtrales, durant ces fêtes traditionnelles, que les analphabètes pouvaient apprendre la vie et le rôle des personnages historiques. Cette fonction de commémoration renforce le patriotisme, ajoutant ainsi un aspect éducatif à ces pratiques populaires.

Ces dernières années, plusieurs rites traditionnels pratiqués lors des fêtes ont choqué le public et ont été dénoncés, afin qu’ils soient modifiés pour être plus adaptés aux valeurs esthétiques et morales de la société moderne. Qu’en pensez-vous?

Tout d’abord, il faut dire que plusieurs rites que nous jugeons inconvenables dans notre société moderne ou qui appartiennent à un autre âge, tels que l’abattage du buffle par fracture crânienne et décapitation, le découpage du cochon, ou l’envol des fleurs de bambou(1), existent depuis longtemps. Le problème, c’est que ces rituels, qui ont une origine sacrée, appartiennent à des fêtes villageoises spécifiques et qu’ils étaient pratiqués en secret, uniquement avec des initiés. Seuls les personnes âgées et les notables du village étaient invités à y participer.

De nos jours, on a tendance à déformer l’essence même de ces rites en les pratiquant en plein air, et sous les yeux d’un large public. De plus, dans beaucoup de fêtes, les maîtres de cérémonie, en charge de ces coutumes, n’en suivent pas ou n’en respectent pas correctement la version originelle. Je vous cite un exemple: il y a quelques années, au village de Nem Thuong de la province de Bac Ninh (Nord), lors de la fête du découpage du cochon, après l’abattage de l’animal, bon nombre d’habitants se précipitaient pour plonger leurs pièces d’argent dans la mare de sang, en pensant que l’action leur porterait chance. C’est une superstition tout à fait curieuse, et pour le moins totalement erronée. Originellement, le village de Nem Thuong n’a pas cette tradition!

Néanmoins, il faut dire que devant la modification des mœurs, il est nécessaire d’ajuster ou revoir les rites qui n’ont plus leur place dans la société moderne. Le principe de la culture est qu’elle ne soit pas figée sur elle-même et qu’elle puisse évoluer. Donc, ce que nous trouvons inconvenable ou contraire à la morale, nous devons l’éliminer ou le transformer.

En organisant les fêtes, il importe de prêter attention aux caractéristiques culturelles authentiques de la communauté locale pour préserver les identités.
Photo: Trung Nguyên/VNA/CVN

Votre remarque sur la tendance actuelle de restauration des fêtes locales?

La résurgence des fêtes traditionnelles est conseillée car elles font partie du patrimoine légué par nos ancêtres. Mais, nous devons mobiliser les chercheurs culturels car leur rôle est très important dans cette restauration rituelle. En effet, pour les fêtes oubliées ou disparues, il y a des pratiques que nous ne connaissons plus. Donc, ce sont les chercheurs culturels qui nous aideront à étudier, à trier les sources d’informations, à comparer celles fournies par les habitants locaux avec les documents historiques et scientifiques, pour pouvoir faire revivre ces fêtes de manière juste et correcte. Il importe aussi de prêter attention aux caractéristiques culturelles authentiques de la communauté locale pour pouvoir préserver les identités.

À l’ère moderne, pour préserver l’essence des fêtes traditionnelles, la gestion étatique devra aller dans quel sens, d’après vous?

Autrefois, une fête traditionnelle ne se déroulait que dans un village ou une petite région. Avec le développement social moderne, une fête villageoise, par sa réputation, peut attirer de nombreux visiteurs, entraînant un risque de chaos dans l’organisation et la réalisation. Ainsi, beaucoup de curieux, venus de l’extérieur, cherchent à se faufiler pour être présents aux rites sacrés uniquement réservés aux villageois, pervertissant ainsi la dimension sacramentelle et l’essence même de l’événement.

Donc, je pense que pour bien gérer ces fêtes, en particulier garantir la sécurité des participants, le rôle, très important, des autorités locales doit être valorisé. Le système juridique doit être transparent, efficace et pertinent. Il faut mettre en place des sanctions sévères envers les infractions pour que le public respecte davantage le caractère profond de ces traditions.

Pour les sacrifices rituels d’animaux que nous jugeons d’un autre âge et pratiqués devant un large public, la meilleure solution n’est pas d’interdire mais de dialoguer avec les localités et habitants concernés pour que le changement et le rajustement viennent d’eux-mêmes. Le dialogue entre gestionnaires et habitants est souvent efficace. Il faut laisser les pratiquants prendre conscience de l’écart entre leurs usages et la mentalité moderne, pour qu’ils changent eux même au lieu d’une interdiction imposée de la part des gestionnaires.


Bao Khanh - Linh Thao/CVN

Note: (1): L’envol de fleurs de bambou est un rite pratiqué lors de la Fête du Saint Giong à Soc Son, Hanoï. Traditionnellement, c’est une belle coutume: après la cérémonie de culte, on lance dans le ciel un bouquet de fleurs de bambous symboliques et les gens cherchent à les reprendre pour avoir de la chance. Mais aujourd’hui, les gens se bousculent pour les attraper au vol à tout prix, ce qui crée un grand désorde parmi la foule.

Rédactrice en chef : Nguyễn Hồng Nga

Adresse : 79, rue Ly Thuong Kiêt, Hanoï, Vietnam.

Permis de publication : 25/GP-BTTTT

Tél : (+84) 24 38 25 20 96

E-mail : courrier@vnanet.vn, courrier.cvn@gmail.com

back to top