"L’écriture, c’est pour moi une envie d’extérioriser les choses"

Après quatre décennies de vie en France, Nuage Rose, également connue sous son véritable nom Hông Vân, puise son inspiration dans les souvenirs de son enfance pour donner vie à deux ouvrages qui ont connu un immense succès au Vietnam.

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Nuage Rose, de son vrai nom Hông Vân, et ses deux ouvrages publiés au Vietnam. 
Photo : NVCC/CVN

Née à Hanoï pendant la période de guerre anti-américaine, Nuage Rose a quitté son pays natal après avoir décroché son diplôme universitaire. Installée en France, elle a poursuivi ses études avec un master en littérature classique, puis a élargi ses horizons en obtenant un diplôme en ingénierie informatique. Au fil des décennies passées dans l’Hexagone, cette femme polyvalente a exercé diverses professions, dont celle de diplomate.

Résidant loin du Vietnam depuis plus de 40 ans, Nuage Rose conserve au plus profond de son cœur les souvenirs indélébiles de son enfance, marquée par des années de guerre particulièrement difficiles. Une soudaine maladie a ravivé en elle ces images du passé, si vivaces qu’elle a ressenti le besoin de saisir la plume pour narrer les mémoires de son enfance. Les récits portent sur son grand-père, son père, sa mère, ainsi que sur son cercle proche, et se déclinent à travers deux ouvrages, l’un rédigé en français et traduit en vietnamien, et l’autre écrit directement en vietnamien. Ces derniers ont rencontré un succès phénoménal au Vietnam, tout en suscitant un intérêt remarquable au sein des cercles littéraires des pays francophones.

"L’écriture agit comme un miroir"

Malgré la notoriété indéniable de ses publications, Nuage Rose décline le titre d’écrivaine professionnelle. "Je ne me considère pas comme une écrivaine à part entière. Depuis longtemps, j’écris de manière régulière, consignant toutes mes pensées dans un petit journal. Pour moi, l’acte d’écrire est une nécessité, un plaisir, parfois une libération, une volonté d’exprimer mes sentiments", confie-t-elle.

Photo : CTV/CVN

En ce qui concerne le parcours qui l’a guidée vers l’écriture, Nuage Rose n’a pas dissimulé ses émotions en revenant sur le contexte particulier qui l’a incitée à concevoir son premier livre en français, intitulé Trois Nuages au pays des nénuphars, suivi, quelques années plus tard, par son deuxième ouvrage en vietnamien, intitulé 120 ngày mây thì thầm với gió (120 jours Nuage murmure au vent, en français). "J’étais gravement malade. C’était un moment où ma vie était en suspens. Je me remémorais mon enfance, mon passé. Je me remémorais mon grand-père, mon père, ma mère, la petite fille que j’étais autrefois. À ce moment-là, seul l’amour prévalait, me laissant place à aucune rancune ni haine", partage-t-elle avec émotion.

Photo : CTV/CVN

"Pour moi, l’écriture agit comme un miroir. Elle me permet de coucher sur le papier les événements de ma vie, de mon passé, ainsi que les sentiments, les sensations et les émotions qui y sont associés". Ces sentiments authentiques ont suscité des émotions intenses chez les lecteurs. "Mon livre a eu le privilège d’être intégré au programme de lecture du lycée français Alexandre Yersin à Hanoï. Un élève américain m’a partagé une expérience poignante : son grand-père, un ancien combattant au Vietnam, réticent à évoquer son passé de guerre, a écouté son petit-fils lire mon livre. Il en a été profondément touché, jusqu’aux larmes. Pour moi, ces réactions sincères représentent déjà une récompense inestimable, bien plus précieuse que des distinctions littéraires", se remémore Hông Vân, soulignant qu’elle "n’a jamais cherché à susciter des larmes chez les lecteurs".

Quand le présent remédie au passé

Le premier ouvrage retrace son enfance pendant la guerre, une période qu’elle a portée au plus profond d’elle-même tout au long de sa vie. "À mon âge, à mesure que la fin approche, j’ai l’opportunité de revisiter un moi du passé. Ce n’est pas une autobiographie ni des mémoires. Il s’agit simplement de l’histoire d’une petite fille de 4 ans contrainte de quitter sa ville natale, Hanoï, en raison de la guerre. Les dates et même certains événements évoqués dans ce livre ne correspondent probablement pas strictement à ce qui s’est réellement passé. En revanche, il reflète la réalité telle que l’a vécue et ressentie la fillette que j’étais…", partage l’auteure.

Nuage Rose, de son vrai nom Hông Vân, lors d'une table ronde sur la littérature vietnamienne et française tenue en décembre 2023 à Hô Chi Minh-Ville. 
Photo : CTV/CVN

En se plongeant dans ses souvenirs, Nuage Rose relate les jours de son enfance où elle pleurait, éprouvant de la rancœur envers sa mère pour l’avoir abandonnée. "À l’époque, je ne savais rien d’autre que le fait d’être éloignée de ma mère", confie-t-elle émue. Les yeux embués de larmes, elle évoque sa maman décédée il y a deux ans. "Plus tard, devenue mère à mon tour, j’ai pu mieux comprendre ma propre mère. Ce n’était pas seulement moi qui devais me séparer de maman. Beaucoup d’autres enfants de mon âge ont également dû quitter leur mère. C’est véritablement le courage, le vrai courage, et aussi la plus grande douleur d’une femme contrainte de se séparer de ses enfants", se rappelle l’écrivaine. "À l’époque, j’étais trop petite pour tout comprendre. Il m’a fallu des décennies pour guérir, à la fois moi-même mais aussi les blessures dans le cœur de la petite fille que j’étais".

Cette quête de guérison, elle l’aborde dans son deuxième livre, paru en vietnamien sous le titre 120 ngày Mây thì thầm với gió (120 jours Nuage murmure aux vents, en français), avec le regard d’une femme à l’âge mûr ayant traversé les vicissitudes de la vie, immergée dans un contexte particulier, celui d’une autre guerre, contre le COVID. Derrière cette lutte, l’auteure explore la nécessité de "se regarder elle-même" et de déchiffrer "les paradoxes qui se déchirent en elle", cherchant ainsi à demeurer plus "placide" en revisitant le passé et les blessures qui l’accompagnent.

Attachement particulier au pays natal

Non seulement Nuage Rose, mais toute sa famille nourrit un attachement particulier envers sa terre natale. En effet, ses grands-parents ont émigré en France dans les années 40, et son père a fait le choix de retourner au Vietnam après ses études en Europe, même au cours des années les plus sombres de la guerre. Son père, médecin renommé spécialisé en gynécologie et obstétrique, a renoncé à une vie confortable en Europe pour aider son pays en guerre. Prenant soin de ses trois filles, il a dévoué la majeure partie de son temps à son métier de médecin, passant ainsi de nombreuses heures dans les cliniques. Cela explique également le lien spécial entre Nuage Rose et son père, ainsi que son grand-père, les deux hommes de sa vie, pendant l’absence de sa mère.

Nuage Rose (droite) entourée de sa famille. 
Photo : NVCC/CVN

Par la suite, ses deux enfants, une fille et un garçon, ont également choisi de retourner au Vietnam. La fille s’est mariée avec un Vietnamien et mène une vie paisible aux côtés de son mari et de leurs deux enfants. De son côté, le fils a travaillé dans le pays natal de sa mère pendant une décennie avant de revenir exercer son métier en France après la pandémie de COVID-19.

Quant à Nuage Rose, le destin a toujours joué un rôle déterminant dans sa relation forte avec le Vietnam. Même lorsqu’elle occupait divers postes au sein d’entreprises ou d’organismes gouvernementaux en France, elle a eu l’opportunité de revenir au Vietnam en tant qu’attachée de l’économie et du commerce de l’ambassade de France dans les années 90 et 2000. Ces derniers temps, ses allers-retours sont devenus plus fréquents, que ce soit dans le cadre de la publication de ses ouvrages ou pour participer à des conférences et ateliers sur l’influence de la culture française au Vietnam.

À la naissance, le placenta est traditionnellement enseveli à proximité du lieu de l’accouchement, scellant ainsi un lien physique entre la personne et sa terre natale. Il est indéniable que l’attachement de Nuage Rose découle de ce lien intime qui l’unit profondément à son pays d’origine. Au Vietnam, ce sont sa famille, ses parents, ses sœurs, sa fille, ainsi que tous ses proches, qui ont partagé avec elle tant de moments joyeux que difficiles au cours de son enfance et de sa jeunesse. Cet amour immense, malgré les vicissitudes du temps, ne s’est jamais terni, mais est devenu plutôt un catalyseur, une source d’inspiration inépuisable pour son parcours littéraire.

Hông Anh/CVN

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