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Le trompettiste Terence Blanchard joue après avoir reçu un prix à Washington, le 4 décembre 2019. |
Photo : AFP/VNA/CVN |
Terence Blanchard "dépasse ma personne", confie-t-il à l'AFP depuis sa chambre d'hôtel de Washington, quelques heures avant de recevoir un prix pour son oeuvre, au Herbie Hancock Institute of Jazz Competition & Gala.
Le fait que l'opéra d'un compositeur noir soit pour la première fois programmé 136 ans après l'ouverture du temple de la musique new-yorkais "en dit plus long sur ce qu'il se passe dans notre pays, et dans le monde de l'art", juge l'artiste de 57 ans.
"Fire Shut Up In My Bones" est le second opéra du jazzman. Il pourrait être joué dès la saison 2021-2022.
"J'ai le sentiment que cela va être quelque chose d'historique, et pas parce que c'est moi", témoigne le musicien, récompensé 11 fois aux Grammy Awards et nommé aux Oscars.
"Un mélange d'émotions"
L'homme à l'imposante monture de lunettes avoue avoir ressenti un "mélange d'émotions" lorsque l'annonce de cet opéra a été rendue publique.
"Même si c'est un véritable honneur, nous savons tous que je ne suis pas le premier compositeur afro-américain qualifié à faire un opéra".
"Personnellement, c'est quelque chose d'énorme, surtout vu d'où je viens", confie le jazzman de la Nouvelle-Orléans, en décrivant la ségrégation raciale à laquelle son père, musicien en herbe, a été exposé.
"De partir de ça - une personne qui n'a jamais eu l'opportunité de chanter de l'opéra, qui n'a pas eu d'opportunités - et que son fils tout d'un coup ait un opéra produit au +Met+, c'est énorme."
Le trompettiste Terence Blanchard (centre) reçoit un prix à Washington, le 4 décembre 2019. |
Photo : AFP/VNA/CVN |
La nouvelle est tombée alors que l'institution lançait "Porgy and Bess", un opéra centré sur la vie d'Afro-américains, mais écrit par des Blancs.
Même dans "l'expérience progressiste que l'on appelle les États-Unis", la société a "un long chemin à parcourir dans son traitement des questions raciales, de l'égalité", estime M. Blanchard.
"Fire Shut Up In My Bones" est inspiré des mémoires de l'éditorialiste du New York Times Charles Blow. L'ouvrage raconte le passage à l'âge adulte d'un garçon noir dans le sud des États-Unis, face au racisme, les violences et une identification sexuelle complexe.
Composer pour des histoires si difficiles demande de "mettre son égo de côté" et laisser les notes "sortir de soi", explique le trompettiste, également auteur de la bande originale du biopic d'Harriet Tubman, qui a aidé des centaines d'esclaves à fuir le sud des États-Unis au XIXe siècle, "Harriet".
"Tu ne peux pas penser à comment les gens vont réagir quand tu écris", explique-t-il, un collier à effigie de cette dernière autour du cou.
"Tu dois penser à ce qu'est cette histoire - comment est-ce que je peux m'associer à cette histoire ? Comment veux-je raconter cette histoire ?", détaille-t-il.
Ami de Spike Lee
Terence Blanchard (centre) entouré du cinéaste Spike Lee (droite) et du rappeur Mos Def, à la Nouvelle-Orléans, le 27 mars 2010. |
Photo : AFP/VNA/CVN |
Terence Blanchard peut aussi se vanter d'avoir joué avec les plus grands : Herbie Hancock, Dr. John, Stevie Wonder...
Sa longue amitié avec le cinéaste Spike Lee l'a "fait grandir d'une façon qu'(il) n'aurai(t) jamais pu imaginer".
"Il a un style cinématographique unique", dit M. Blanchard au sujet du réalisateur oscarisé, connu pour "Do the Right Thing", "Malcom X", ou "BlacKkKlansman", dont le jazzman a signé la bande originale.
"Le cinéma m'a beaucoup aidé à écrire pour l'opéra, parce que j'ai eu la chance d'écrire pour un orchestre", indique l'artiste.
Habitué à jongler entre différents projets, le musicien affirme qu'il est important de "ne pas se limiter".
"Je veux quitter cette planète sans regrets", déclare-t-il. "Et pour moi, les regrets prennent racine dans la peur (...) Pour surmonter ses peurs, il faut sortir et prendre des risques".