Chaque année, au 5e jour du 1er mois lunaire, la fête de Dông Da est organisée pour commémorer la victoire du roi Quang Trung en 1789. |
Les étrangers connaissent en général le Têt de 1968, Têt marqué par l’offensive générale du Front national de libération (FNL) du Sud Vietnam qui a bouleversé l’opinion publique américaine, forçant Washington à négocier sérieusement aux pourparlers de Paris.
Ils ignorent le Têt de 1789, Têt auréolé par l’une des plus brillantes victoires de l’histoire militaire de Vietnam. Et voici les faits :
En 1789, alors que le peuple de France renversait le régime de l’arbitraire en attaquant la Bastille, une armée de paysans vietnamiens sous la conduite de Nguyên Huê prit d’assaut le Grand-Quartier général de l’armée d’occupation sino mandchoue forte de 200.000 hommes. La dynastie mandchoue profitant des troubles au Vietnam, y avait envoyé un corps sous prétexte de venir en aide à la dynastie des Lê.
Nguyên Huê était un homme du peuple, dont les parents de Nghê An avaient été déportés dans la province de Binh Dinh. La situation de la paysannerie était devenue intolérable au XVIIIe siècle, par suite de l’exploitation féodale devenue de plus en plus exécrable et des guerres entre les deux familles de seigneurs qui se partageaient le pouvoir (les Trinh au Nord, les Nguyên au Sud) aux dépens de la dynastie des Lê qui ne régnait que de nom.
Nguyên Huê et ses frères se mirent alors à la tête d’un vaste mouvement d’insurrection paysanne déclenché dans la région montagneuse de Tây Son (d’où le nom : mouvement de Tây Son). Ils réussirent à rallier toutes les couches laborieuses de la population et à s’emparer du Sud. Ils renversèrent également les Trinh au Nord. L’empereur sino mandchou intervint et envoya des troupes au Vietnam. Dans les campagnes vietnamiennes, les paysans s’enrôlèrent alors en masse sous le drapeau du salut national.
Cérémonie en hommage au roi Quang Trung (1788-1792) lors de la fête de Dông Da. |
Photo : Minh Duc/VNA/CVN |
En l’espace de dix jours, Nguyên Huê put constituer une armée forte de 100.000 hommes et de 100 éléphants et marcha sur Thang Long (Hanoi), occupée par l’ennemie. Cette marche libératrice vers le Nord fut organisée soigneusement, dans le plus grand secret, et se fit avec une diligence remarquable. Les soldats avançaient par groupes de trois munis d’un palanquin ; les soldats fatigués étaient ainsi portés par leurs camarades.
L’armée sino mandchoue fut taillée en pièces, une partie se noya dans le fleuve Rouge suite à la rupture du pont. Le général commandant en chef et les restes de son armée regagnèrent à grand-peine le territoire chinois.
La Grande Victoire célébrée au 5e jour du Têt
Le site de la victoire sur les Qing est Dông Da dans l’actuelle Hanoi. Là, furent entassés après la bataille et longtemps après une énorme quantité de cadavres et d’ossements de soldats sino-mandchous. Enfouis en plusieurs couches, ils firent émergés un grand mamelon appelé Go Dông Da.
Face à cette élévation, avait été bâtie la pagode de Dông Quang dans le but de prier pour les mânes des combattants sino-mandchous fauchés en terre étrangère. D’après la coutume bouddhique, les mânes des soldats ennemis, considérées comme âmes errantes, font aussi l’objet d’un culte populaire. La pagode honore également la mémoire de Quang Trung (Nguyên Huê).
Chaque année, la fête de Dông Da qui a lieu le 5e jour du Têt attire une foule nombreuse de pèlerins de la capitale et des environs venus pour commémorer la Grande Victoire. Dans la matinée se déroule la cérémonie du sacrifice à la maison commune de Khuong Thuong.
Vers midi, une procession conduit le palanquin du roi au Temple sur le mamelon de Dông Da. Pendant ce temps, on organise une cérémonie d’absolution pour les mânes des soldats ennemis et rappeler le souvenir de la bataille. Parmi les réjouissances populaires figure la danse du dragon qui évoque sans doute l’emploi par les combattants de Nguyên Huê de longues torches pour effrayer l’ennemi, d’où le mouvement ondulatoire du dragon.
Quang Trung (Nguyên Huê), génie militaire avait anéanti une flotte de 50.000 envahisseurs siamois en 1788 avant de gagner la victoire de Dông Da. Il a fondé la dynastie impériale Tây Son. Souverain éclairé, bon diplomate et administrateur, il fut fauché malheureusement à 39 ans en 1792.
Un document historique
L’Édit de son accession au trône rédigé par son haut conseiller le lettré Ngô Thi Nhiêm révèle une puissante personnalité et un vrai patriote. Ci-dessous un extrait de ce document historique :
«… Originaire des monts de l’Ouest, je suis comme vous tous, vêtu d’étoffe grossière, je n’ai pas un seul arpent de terre, et jamais je n’ai ambitionné de devenir roi. Mais j’ai dû répondre aux aspirations du peuple qui déteste l’anarchie et espère ardemment avoir un monarque clairvoyant et capable d’apporter la paix et la prospérité.
J’ai donc rassemblé les partisans de la juste cause et, affublé d’un manteau de feuilles, roulant sur des chars en bambou, je suis parti débrousser les forêts et percer les montagnes, aider le roi mon aîné dans de longues expéditions militaires, pour jeter les assises de l’Etat dans les territoires de l’Ouest, garantir la paix du côté du Siam et du Cambodge, conquérir Phu Xuân (Huê), marcher jusqu’à Thang Long (Hanoi). Tout cela pour mettre fin aux troubles, sauver le peuple du feu et du sang, rendre au roi Lê le royaume, restituer ses territoires au roi mon aîné (au Sud). Après quoi, vêtu de brocart et portant des chaussures brodées j’aimerais voyager pour mon plaisir, visitant les deux régions, me réjouissant du spectacle de la paix et de la joie.
Le cours des événements en a décidé autrement, je n’ai pu faire comme je le voulais. J’ai deux fois remis les rois Lê sur leur trône, mais le roi héritier n’a pas su garder son royaume et s’est enfui du pays. Les lettrés comme le peuple du Nord se détournent des Lê et me font confiance. Le roi mon aîné au Sud accablé de fatigue, veut garder seulement la préfecture de Qui Nhon avec le titre modeste de «prince de l’Ouest», remettant entre mes mains tout le Sud, un vaste territoire s’étendant sur plusieurs milliers de lieues. Me sachant de loin inférieur aux anciens en talent et en vertu morale, je m’effraie à la pensée de gouverner un pays si étendu, avec une population si nombreuse, comme si je devais conduire un char de six chevaux avec des rênes usées.
Récemment, les généraux, les mandarins civils et militaires, les vassaux, tous ont formulé le vœu que j’instaure au plus vite un nouveau règne pour rallier les esprits. À deux ou trois reprises, ils m’ont présenté leur supplique et, sans s’être aucunement concertés, tous ont exprimé le désir de me voir accéder au trône. À mon avis, la nation est un bien sacré et mériter le trône accordé par le Ciel est bien ardu ; j’ai grand peur de ne pouvoir remplir cette lourde tâche. Mais des millions d’hommes des quatre océans se sont rassemblés, plaçant leur confiance en moi, c’est bien le Ciel qui l’a voulu, et non les hommes. Obéissant à cette volonté suprême, en accord avec les aspirations du peuple, je n’ai pu m’obstiner dans mon refus. Je choisis donc le 22e jour du 11e mois de cette année (1788) pour accéder au trône royal et proclame la première année du nouveau règne Quang Trung… ».
Huu Ngoc/CVN