>>Le temps du Vui sông (Vivre dans la joie)
Dans un de ses numéros, la revue Vui sông mentionnait une très forte mortalité enfantine à Hanoi. Ayant lu cette information, le Président Hô Chi Minh a proposé au Vui sông d’organiser un concours honorant les «bébés mignons et robustes». Le Vui sông a réalisé son initiative à l’occasion de la 2e Fête nationale (2 septembre 1946), un an après la reconquête de l’indépendance et trois mois avant la guerre franco-vietnamienne (19 décembre 1946).
Le Vui sông participe activement au mouvement national prônant un nouveau style de vie, né au lendemain de la Révolution d’Août 1945. |
«Le concours organisé au Jardin d’enfants de Hanoi a pris fin le 22 septembre 1946. Le Président par intérim de la République démocratique du Vietnam, Huynh Thuc Khang, (Hô Chi Minh étant absent) est venu remettre les prix aux bébés élus. Le concours avait suscité un grand enthousiasme un mois avant. Les parents se creusaient la tête pour essayer d’augmenter le poids de leur enfant. On se préoccupait de bien l’habiller, bien que le jury avait prévenu qu’il ne s’agissait pas d’un concours de mode enfantine. Le comité d’organisation devait faire face à des tâches multiples : visite médicale, photographie, dossier individuel. Les journaux avaient publié des articles sur la signification du concours : importance des soins maternels, des méthodes rationnelles pour nourrir et éduquer les bébés, surtout la signification politique du concours. Il exprime la confiance de notre peuple dans le nouveau régime : en dépit des difficultés sans nombre, le gouvernement populaire a conçu la marche vers l’avenir, pour le bonheur des citoyens, en commençant par l’enfance. Le concours terminé, le +Vui sông+ a reçu des dons pour les enfants des hospices qui n’avaient pas de possibilité de participer au concours» (Tu Giây, No9).
Un nouveau style de vie
Le Vui sông participe activement au mouvement national prônant un nouveau style de vie, né au lendemain de la Révolution d’Août 1945 : «Ainsi, il nous est permis à nous autres Vietnamiens de vivre une vie nouvelle. C’est-à-dire de vivre de manière plus simple, plus réaliste en toutes choses, de nous débarrasser des usages alambiqués et obséquieux. Par exemple, dans un festin, on n’est plus assourdi par la même formule d’invitation qui se répète toutes les cinq minutes : +S’il vous plaît, madame/monsieur, goûtez à ce plat !+. Le médecin conseille à ceux qui ont mal à l’estomac de ne pas lire le journal ou bavarder, de bien mâcher pendant le repas. Quand on pense à autre chose qu’à manger, quand on est pris à chaque instant par le souci d’inviter les commensaux à goûter à un plat, le suc gastrique se raréfie, ce qui coupe l’appétit et ne favorise pas la digestion».
Hang Ngôn, l’auteur de cet article, souligne qu’en préconisant la suppression de nombreux festins traditionnels, occasion de faire ripaille, le nouveau style de vie aide à diminuer le nombre de victimes d’indigestion et de maladie de l’appareil digestif. Un historien a remarqué sans plaisanter : «Les Vietnamiens ont gagné la Première Guerre d’Indochine avec leurs jambes».
En effet, du côté vietnamien, c’était une guerre du peuple combinant ingénieusement la guérilla avec la bataille rangée. En général, soldats et fonctionnaires se déplaçaient à pied, faute de camions. Chaque campagne mobilisait des centaines de milliers de paysans et paysannes faisant à pied des centaines de kilomètres pour construire des routes et approvisionner les troupes. Il m’est arrivé dans le maquis de marcher dans la montagne six jours (aller-retour, 30 km par jour) pour participer à une réunion qui durait deux jours. L’article En avant, marchons ! du Docteur Trân Huu Nghiêp donne des conseils aux troupiers pour garder leur force au cours des marches harassantes (4 à 5 km par heure, 110 à 125 m par minute pour chaque pas, avec sur le dos l’équipement militaire et les provisions).
Liens étroits entre soldats et paysans
L’Armée révolutionnaire, issue du peuple, est attachée au peuple. Le soldat vit chez le paysan dont il partage les travaux et les jours. Il contribue dans les villages à appliquer les mesures de médecine préventive afin d’éviter les épidémies tropicales, dangereuses et lui apprend les règles d’hygiène élémentaires de la vie quotidienne. À ce sujet, le Vui sông (No42) donne l’information suivante : «La compagnie du camarade Liên vient de camper dans le village Binh. +Fée Médecine+ vient sans tarder lui rendre visite et proposer au commissaire politique d’organiser une journée d’hygiène. Le travail est réalisé par la troupe et +Fée Médecine+, qui mobilise surtout les femmes du hameau.
La Journée commence avec une cérémonie solennelle réunissant presque toutes les personnes valides de la communauté, hommes et femmes, jeunes et vieux, et une masse énorme de balais, de bêches et de pioches. Le commissaire politique parle de la solidarité unissant l’armée et le peuple, +Fée Médecine+ de la nécessité de l’hygiène, en insistant : L’hygiène n’est pas une affaire compliquée et difficile. Elle est à la portée de tout le monde, des riches comme des pauvres. Les villageois se sont attelés à la tâche avec ardeur. Le lendemain matin, les gens du village voisin sont étonnés de voir le village Binh changé, ses sentiers et ses maisons d’une propreté étincelante, prêt à repousser les maladies».
Le Vui sông donne aussi des conseils sur l’hygiène alimentaire et les conditions de vie aux militaires pour les aider à garder leur force au cours des marches harassantes |
Le Vui sông se fait un devoir de contribuer à la lutte contre la misère physique et morale, les tares de la longue période féodalo-coloniale, les préjugés et pratiques superstitieuses archaïques nuisibles à la santé. Elle dénonce avec virulence les abstinences imposées aux femmes avant, pendant et après les couches.
Un article du Docteur Dang Van Chuong (No5) nous renseigne à ce sujet : «Un jour, une belle-mère amène sa bru à mon cabinet. Cette dernière souffre d’une fièvre continue, manque d’appétit et se sent très fatiguée. La belle-mère m’explique non sans colère que cela est dû au fait que la jeune femme n’avait pas suivi ses conseils concernant les comportements à observer lors de l’accouchement il y a quatre ans. Il fallait éviter le vent qui pourrait donner la cécité, s’abstenir de marcher, de se tenir debout ou assise, de trop parler, de manger de la laitue de peur d’attraper une maladie urinaire quand on prenait de l’âge, de manger du poulet, de la carpe, de la viande de buffle par peur de refroidissement. Elle reproche à sa bru : +il fallait se comporter ainsi pendant 3 mois et 10 jours, même un ou deux ans après les couches. Elle n’a pas suivi cette règle. Maintenant, elle doit en subir le châtiment+. Je m’évertue en vain à convaincre la pauvre vieille dame que l’état maladif de sa bru n’est pas causé par son refus d’observer les abstinences traditionnelles, mais par d’autres causes. La fidèle observance de ces règles aurait pu causer de pires maladies».
Point n’est étonnant qu’un des soucis majeurs du Vui sông est d’éveiller la conscience publique au danger donné par de pareils préjugés et pratiques superstitieuse d’un autre âge. Pendant la guerre de libération nationale, la revue a fait beaucoup comme organe de vulgarisation médicale et sanitaire, sans compter sa contribution aux transformations sociales. La victoire de Diên Biên Phu a tourné une page de notre histoire. Mission accomplie. Le Vui sông dit adieu à ses lecteurs, dans «la joie d’avoir bien vécu».
Ce n’est pas sans un certain attendrissement que j’évoque pour terminer la figure attachante du regretté Docteur Tu Giây, directeur de la revue. Je ne pourrai jamais oublier sa haute silhouette, le sourire mi-figue mi-raisin de ce pince-sans-rire, homme de cœur doué d’un solide bon sens et d’un savoir-faire incroyable.