Des bouteilles de vin du Swartland vendues dans une coopérative de Riebeek Kasteel, en Afrique du Sud. |
Délaissant les hauts lieux du vin sud-africain que sont Stellenbosch, Franschhoek ou Constantia, près du Cap, ces pionniers se moquent volontiers des méthodes productivistes des grands domaines aux vins fruités, dont le degré d’alcool s’envole.
«La chose essentielle dans cette région, ce pourquoi je suis venu ici, c’est les sols», souligne Eben Sadie, le premier à s’être installé dans le Swartland en 1997. Des sols rappelant les meilleurs terroirs d’Europe, où il a fait les vendanges dans sa jeunesse.
Il y a aussi, ajoute cet ancien surfeur, un climat sec et sain, et de très nombreuses vieilles vignes qui ne demandent qu’à être redécouvertes. De la syrah - cépage roi de la région -, mais aussi du cinsault, de la grenache, du chenin blanc...
Eben Sadie a été rejoint ces dernières années par toute une bande de copains qui se sont installés dans ce paysage d’oliviers, de palmiers et de champs de blés, sur les pentes de trois petites montagnes où la vigne se réjouit de manquer d’eau. Avec pour capitale Riebeeck Kasteel, un charmant village ignoré des cars de touristes, à une heure du Cap.
«Ils savaient à l’avance qu’ils voulaient produire de petites quantités, et s’orienter sur la qualité», note Xavier Didier, un sommelier français installé au Cap.
«C’est un phénomène à contre-courant», observe-t-il : «Ils ont voulu sortir des circuits commerciaux habituels - les flux touristiques, la production de masse - et de ce style +Nouveau Monde+, le fruit, l’alcool et le +Parker Style+», le goût pour les vins robustes généralisé par le dégustateur américain Robert Parker.
«C’est juste quelques amis qui peuvent être eux-mêmes», relativise Adi Badenhorst, le plus baba cool des pionniers du Swartland.
Réalisme socialiste
Très influencés par la vallée du Rhône, tous ont en commun de retrouver des saveurs oubliées, avec des vins aussi naturels que possible, sans goût boisé, pas trop sucrés, plutôt légers. Quitte à vendanger beaucoup plus tôt.
«Nous voulons que les gens qui boivent une bouteille veuillent en boire une autre, note Chris Mullineux, autre figure de la bande lassé des vins à 15 degrés. Nous ne voulons pas qu’ils en aient assez après un verre !»
En Afrique du Sud, la région du Swartland attire de plus en plus de nouveaux vignerons, qui viennent s’installer là pour la qualité des sols. |
Photo : AFP/VNA/CVN |
Ces viticulteurs aux produits très variés se sont regroupés au sein des «Producteurs indépendants du Swartland». Et comme on les qualifiait de révolutionnaires, ils ont lancé pour faire goûter leurs vins la «Révolution du Swartland», une grande kermesse annuelle où accourent désormais des connaisseurs venus du monde entier.
On y boit les dernières créations des uns et des autres, des breuvages expérimentaux, des séries limitées... Et on oublie que la région n’était encore connue il y a quelques années que pour la production de masse de vins à bon marché.
Avec un goût du marketing certain, la «Révolution» récupère étoiles rouges et logos d’inspiration réaliste-socialiste, et joue avec des étiquettes excentriques.
Ce qui n’empêche pas certains crus d’atteindre les 700 rands (50 euros), une petite fortune pour une bouteille en Afrique du Sud.
Les révolutionnaires raillent d’ailleurs moins les critiques depuis que leurs vins croulent sous les éloges. Eben Sadie a été sacré vigneron sud-africain de l’année 2015, Chris Mullineux l’était en 2014. Le quarteron de vignerons qui a secoué l’establishment viticole sud-africain a tout juste la quarantaine, mais la relève est déjà là.
Comme eux, leurs assistants ont profité de l’inversion des saisons pour faire les vendanges dans l’hémisphère Nord, notamment en France. Comme eux, ils ont trouvé le terroir de leurs rêves dans le Swartland. Et ils se sont mis à produire leurs propres vins pendant leurs heures perdues.