Le Poème des quatre saisons

La poésie classique vietnamienne abonde en œuvres dépeignant les saisons. La plus connue est le Poème des quatre saisons, de la plume, ou plutôt du pinceau, de Ngô Chi Lan, une lettrée du XVe siècle.

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Le printemps est la saison du renouveau de la nature.
Photo : ST/CVN

Dans ce poème rédigé en chinois classique hán - le hán étant à l’époque d’un usage courant dans l’administration et les lettres, tout comme le latin au Moyen-Age en Europe -, il y a bien des allusions à la culture chinoise : la femme pensant à son mari en garnison à Liaoxi (Liêu Tây), la neige (elle est presque inconnue au Vietnam), etc. L’ancienne poétique de l’Asie orientale ne craint pas les clichés, parfois elle les recherche comme des modules pour construire des œuvres nouvelles.

Le poème de Ngô Chi Lan fait sentir une sensibilité toute féminine. L’auteur, originaire du district de Kim Hoa (actuellement Soc Son, banlieue de Hanoï), était l’épouse du lettré Phu Thuc Hoành. Très appréciée pour ses talents littéraires par le roi lettré Lê Thánh Tông (1442-1497), elle fut chargée de l’éducation des femmes du harem.

Elle et son Poème des quatre saisons sont si célèbres qu’ils feront l’objet d’une narration(1) dans le Vaste recueil des Contes merveilleux (Truyên ky man luc), chef-d’œuvre de Nguyễn Dữ(2) (XVIe siècle).

En voici la traduction :

Printemps

Les jeunes rayons du soleil réchauffement l’homme et enivrent les cieux.

Paysage printanier où l’air tiède enveloppe palais et monuments.

Au travers les rideaux, les loriots font la navette dans les saules.

Autour de la véranda, les papillons voltigent sur les fleurs.

Et sur le seuil de la maison, la lumière du jour s’allonge.

Un soupçon de sueur tout parfumé de poudre vient humecter la robe verte.

L’enfant, ignorant la tristesse printanière,

S’appuie à la rampe d’ivoire et sourit.

Arbre des quatre saisons.
Photo : CTV/CVN

Été

Le vent souffle éparpillant les fleurs rouges des grenadiers.

Une belle femme, au jardin, se balance nonchalamment dans un hamac.

Le loriot sur sa branche regrette le printemps qui, trop vite, s’écoule.

Un couple d’hirondelles violettes a la nostalgie du paysage enfui.

S’arrêtant de coudre, muette et les sourcils baissés,

Elle appuie un instant sur les tentures de soie sa tête lasse, se laissant aller à son rêve,

Mais quelqu’un s’approchant, écarte le rideau et l’arrache au sommeil,

Hélas ! son âme ne peut plus le rejoindre à Liêu Tây(3).

Automne

Les effluves de l’automne imprègnent l’espace, le ciel est serein, l’air est pur,

Une oie solitaire venant de loin, annonce l’arrivée du brouillard.

Les lotus se fanent sur leurs longues tiges, leur parfum s’éteint dans les bassins de Jade.

À la troisième veille les feuilles de bouleau jonchent les eaux froides du fleuve Ngô.

La luciole voltige autour des balustrades bleues.

La veste en tissu mince ne peut plus protéger du froid pénétrant. La flûte qui se tait au loin me fait rêver.

Où donc trouver le phénix qui m’emportera au Pays des Immortels ?

Hiver

J’allume le brûle-parfums, petit vase d’argent,

Un verre d’alcool réchauffe l’air matinal.

Le froid de la neige pénètre le mince rideau,

Le vent secoue le givre sur l’eau froide.

La belle jeune femme s’isole parmi les tentures brodées,

Derrière les fenêtres calfeutrées de papier.

Mais, pour faire revenir en secret le printemps,

Sur un abricotier, un bourgeon parfumé, s’ouvre dans la montagne.

Huu Ngoc/CVN
(Octobre 1996)
(1). Entretien poétique Kim Hoa.
(2). À ne pas confondre avec Nguyên Du (1766-1820), auteur du Kiêu.
(3). Dans le Nord-Est de la Chine. Allusion à un poème des Tang où la femme se transportait en songe à Liaoxi (Liêu Tây) où son mari était en garnison.

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