Le peintre qui voulait sortir du cadre du handicap

Lê Minh Châu fait partie de la longue liste des victimes de l’agent orange/dioxine. Il a décidé de faire fi de son sort, et de réaliser son rêve : devenir peintre professionnel. Retour sur un parcours exemplaire et plein d’espoir.

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Lê Minh Châu dans son atelier.

On lui a maintes fois dit que ses ambitions étaient irréalistes et qu’il fallait y renoncer. Pourtant, rien n’a pu détourner Lê Minh Châu de sa route, et de son désir d’une vie indépendante.

Le jeune homme de 26 ans a dû apprendre à vivre avec ses bras et jambes atrophiés, un handicap congénital qui aurait pour origine la consommation par sa mère de l’eau d’une rivière contaminée par la dioxine pendant sa grossesse.

Il a passé son enfance dans le village d’enfants SOS Hoà Binh à Hô Chi Minh-Ville, et ce jusqu’à ses 17 ans. Il y a appris à se déplacer à l’aide de ses seuls genoux.

Au fil du temps, ses membres ont continué de s’atrophier, et arrivé à l’âge adulte, il ne pesait que 35 kilos.

À chaque rencontre, on a toujours envie de l’aider. Mais Châu décline toujours l’offre, et répond qu’il peut arriver à marcher à sa manière. Une détermination et une volonté de vivre qui force le respect, et une certaine admiration.

Vivre à travers les couleurs

Ses bras sont souvent pris de mouvements involontaires, et il ne peut dès lors pas tenir grand-chose dans ses mains, à part quelques petits objets de moins d’un kilo. Mais le jeune homme a des ressources, et réalise ses activités quotidiennes avec l’aide de sa bouche.

En dépit de ces contraintes, Châu voue une vraie passion pour le dessin et la peinture, une flamme artistique qu’il a découverte à un âge précoce.

«Ma tante est une peintre spécialisée dans les peintures murales. C’est elle qui m’a enseigné les premiers coups de pinceaux. Elle a aussi ouvert une classe de dessin réservé aux enfants handicapés du village d’enfants SOS Hoà Binh», partage-t-il.

L’apprentissage du dessin n’est pas simple, et la difficulté est double quand on a un handicap. Et plus particulièrement quand on utilise sa bouche pour réaliser les esquisses : il est arrivé plusieurs fois à Châu de se la piquer avec la plume, provoquant des saignements.

Arrivé à l’âge de 18 ans, il quitte le village d’enfants et décide de poursuivre une carrière d’artiste peintre à Hô Chi Minh-Ville. Huit ans se sont écoulés, et Châu a su surmonter les nombreux obstacles, et devenir un artiste plein de succès. Il expose aujourd’hui au Vietnam mais aussi à l’étranger, et il transmet son savoir aux enfants et adultes en proposant des cours à son domicile. Il peut se targuer d’être le seul peintre handicapé vietnamien à pouvoir vivre de son art.

Un passionné devenu un modèle

Un artiste talentueux, qui a su dépasser les conventions pour réaliser son art.
Photo : Zing/CVN

Châu préfère créer des œuvres originales plutôt que des reproductions, en utilisant de la peinture à huile, et en réalisant une majorité de ses œuvres avec sa bouche. Il est persuadé que ses peintures ont une âme, car il y dédie du temps et de l’énergie.

Auparavant, il privilégiait des couleurs sombres pour exprimer sa mélancolie. Mais au fil du temps, sa perspective a changé. Ses œuvres ont pris des couleurs de plus en plus vives, et le public s’est montré encore plus enthousiaste et réceptif à cette évolution artistique. Châu ne se souvient pas du nombre de peintures vendues, mais il se déclare très fier de son accomplissement. «Rien n’est difficile si on s’efforce continuellement de tout surmonter. Dans la vie, on peut parfois tomber, mais il ne faut pas abandonner sa passion, et garder toujours le sourire», prêche l’artiste.

Une force de caractère qui est à son tour une source d’inspiration. La vie du peintre est devenue le sujet du documentaire Châu, Au-delà des lignes (Châu, Beyond the Lines en version originale) de la jeune réalisatrice américaine Courtney Marsh et du producteur Jerry Franck. Le peintre a été invité à la Conférence des États parties à la Convention relative aux droits des personnes handicapées à New York qui s’est tenue en juin dernier. En marge de celle-ci, il a organisé un événement pour présenter ses œuvres au siège de l’ONU. Et plus récemment, Hanoï a accueilli son exposition intitulée «Chemin d’aspirations».

Que reste-t-il encore à accomplir quand on a déjà atteint le sommet ? Châu n’est heureusement pas à court d’idées. «Je prépare une exposition qui présentera ma trentaine de peintures à l’huile, et je m’attelle déjà à un programme de peinture corporelle à Hô Chi Minh-Ville dans les temps à venir». Et surtout, le jeune artiste a décidé de se tourner vers de nouveaux horizons, qui l’emmèneront toujours un peu plus loin : devenir un styliste professionnel. «D’ici deux ans, je souhaite quitter le Vietnam pour réaliser mon rêve encore inachevé», confie-t-il.


Thuy Hà/CVN


Une vie portée à l’écran

Le Châu, Beyond the Lines (Châu, Au-delà des lignes) a été réalisé en près de sept ans, de 2007 à 2014, par la jeune réalisatrice Courtney Marsh, et épaulée par le producteur Jerry Franck. Le film a été nominé aux Oscars de 2016 dans la catégorie «Meilleur court métrage documentaire» par l’Académie américaine des arts et des sciences du cinéma (AMPAS). Lors de la cérémonie organisée en janvier, le documentaire de 34 minutes a été en compétition avec neuf autres œuvres, après avoir passé une première sélection qui comptait 74 films. Auparavant, en 2015, il avait été primé au Festival du film d’Austin et au 45e USA Film Festival.

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