Différentes variétés de citron caviar, à Eus Raymond Roig. |
Alain Cohen est chercheur d’or dans les terroirs français : il déniche les produits rares pour les Vergers Saint Eustache de Rungis. Quand il découvre un produit, il le présente au célèbre cuisinier Alain Ducasse... qui, à chaque fois, le connaît déjà. «La seule fois où je l’ai scotché, c’est avec le citron caviar».
Antoine Heerah, formé sous bonne toque avec Alain Passard, enchaîne : «La première fois que je l’ai goûté, j’étais bouleversé». J’ai ressenti «quelque chose de très enfantin et de très révolutionnaire à la fois», raconte-t-il.
Enfantin, car ses micro-billes roulent sous le palais et explosent en bouche, libérant un goût «amer, citronné, mais avec une acidité plus basse». C’est l’ingrédient d’une cuisine «très XXIe siècle» et sa «magie» révolutionnaire, c’est qu’il est très simple d’utilisation, ajoute celui qui pilote désormais les cuisines du Chamarré Montmartre, à Paris.
Rose ou sanguin
Tant M. Cohen que M. Heerah vouent un culte sans limite à un couple : Michel et Bénédicte Bachès. Ces collectionneurs d’agrumes s’appliquent dans leurs serres, près de Perpignan, à créer de nouveaux fruits et à en faire renaître d’autres.
C’est Michel qui (re)découvre le «microcitrus australasica», il y a 25 ans. Les graines venaient d’Australie. Il commence à le faire pousser, tente des hybridations naturelles. Il réussit à mettre au point sa propre variété qu’il baptise «citron caviar» tout simplement.
La version australienne - «finger lime» ou citron-doigt dans le texte - se présente sous forme d’un cornichon, avec des grains jaunes, épicés en premier goût, acides au second. Sa peau, que l’on peut sécher et râper, dégage elle des notes de citronnelle et mélisse.
Le chef français Antoine Heerah prépare un plat avec du citron caviar. |
L’agrume des Bachès a la forme d’une grosse olive, une peau rose teintée de vert, des grains roses nacrés avec une «acidité plus complexe, moins tranchante, un arôme pamplemousse/fruits rouges et sans pépin !», décrit Michel.
Aujourd’hui, ce savant des agrumes planche sur une nouvelle variété, croisée avec de l’orange sanguine, qui doit permettre d’obtenir des grains rouges.
Ce fruit, «il faut le penser comme un condiment, soit sur du sucré, soit sur du salé. À lui seul, il convient parfaitement sur un produit cru : un carpaccio de Saint-Jacques, de bar. Ça crée une attractivité assez phénoménale», conseille Antoine Heerah.
Cent euros le kilo
De ses belles mains chocolat, il détache le caviar du fruit et le dépose ensuite sur une crème chiboust mariée à un parfait glacé au citron vert, avec un trait de miel, avant de l’entourer d’un coulis à base de yuzu (un autre agrume à la mode).
Patrick Roger, le chocolatier-sculpteur, utilise lui les grains dans une ganache citron lovée dans une demi-sphère de chocolat noir : «le chocolat qui va autour de l’acide citrique, ça crée l’alchimie et ça éclate en bouche». Désormais ce produit de niche et de luxe n’est plus le domaine réservé des chefs. Le public peut le trouver chez quelques primeurs de qualité ou dans des épiceries fines.
Il se vend en moyenne 100 euros le kilo, soit environ deux euros le citron. Ce qui en fait un des citrons les plus chers du monde mais avec une pièce, on peut magnifier plusieurs assiettes car la chair est riche en «caviar».
Et peut-être que la demande dopera la production qui reste pour l’heure confidentielle. Michel Bachès, probablement le seul à en faire pousser en France, en produit 800/900 kilos par an. Les Australiens s’y sont remis et les Californiens ou Israéliens s’y mettent mais timidement pour l’instant.
La semaine dernière, Alain Cohen n’en avait plus que 150 pièces. Tout le monde ne sera pas servi pour les fêtes...
AFP/VNA/CVN