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Durant vos études sur le terrain pour élaborer le dossier du chant then pour l’UNESCO, avez-vous pu aboutir à une vision globale de la situation de ce genre musical ?
Selon la tradition, les airs then sont obligatoirement interprétés lors des cultes des trois ethnies minoritaires Tày, Nùng et Thai, lesquelles vivent principalement dans les provinces septentrionales montagneuses. Ils sont chantés par les thây then (maîtres ès then – hommes ou femmes) qui maîtrisent à la fois la voix et l’instrument et se produisent uniquement lors de l’accomplissement des rites. Compte tenu de son attrait sur le plan esthétique, le chant then pénètre progressivement la vie quotidienne, en prenant lors de ce processus une dimension scénique. Dans la vie quotidienne ou sur scène, le then est interprété par un groupe de chanteurs souvent accompagné de danseurs.
Ce qui m’a marqué, c’est que tous ses interprètes le maîtrisent rigoureusement. J’apprécie particulièrement l’introduction des airs then dans la vie quotidienne, notamment à l’occasion des activités communautaires. Chaque année, les artistes recherchent des airs, en étudient ou en complètent d’autres afin d’en faire de nouveaux, plus intéressants, modernes, ce qui aboutit à un constant enrichissement de cet art dont la vitalité se trouve renforcée.
Le chant +then+ est toujours accompagné du +dàn tinh+. |
Photo : Minh Duc/VNA/CVN |
Quelles sont les caractéristiques des airs then destinés aux rites ?
Pour le chant then en tant que rite, le maître ès then doit impérativement présenter la raison pour laquelle l’air est chanté devant l’autel des fondateurs du then ou celui du Génie du ciel. Par exemple, une fois, plusieurs experts du ministère de la Culture, des Sports et du Tourisme et moi-même sommes allés trouver Mme Linh, une de ces maîtres qui vit dans la province de Lang Son (Nord). Avant de nous donner un spectacle de then, elle a dit solennellement, devant l’autel : «Aujourd’hui, j’accueille une délégation du ministère de la Culture, des Sports et du Tourisme. Je prie le Génie du ciel de me permettre de chanter des airs Trên duong (Sur la route)». Seulement alors, elle a pu commencer.
Le chant +then+ est un art culturel immatériel ancien qui a un rôle essentiel dans la vie spirituelle des Tày, Nùng et Thai. |
S’agissant du sens des airs then authentiques et rituels, le(la) chanteur(euse) conte l’histoire du personnage principal du chant alors qu’il traverse différentes portes d’entrée, généralement en 20 à 30 étapes, avant de rencontrer le Génie du ciel ou l’Empereur de Jade. Durant tout ce périple, le personnage, interprété par le (la) chanteur (euse), exprime, suivant la littérature et la mélodie propres au genre, ses confidences, ses difficultés, ses sentiments, ses amours, ses vœux, etc.
Sur quels airs then porte le dossier présenté à l’UNESCO ? Rituel ou scénique ?
De manière exacte, sur les airs rituels, mais nous utilisons son pendant «profane» pour démontrer sa vitalité, y compris dans la vie de tous les jours.
De votre point de vue de gestionnaire et de chercheur, que faut-il faire pour préserver et valoriser cet art ?
Je pense que la pratique des airs then rituels est durable car il relève de croyances des Tày, Nùng et Thai qui perdurent. Ils sont systématiquement interprétés lors des cérémonies rituelles ou lors des grands événements. Je pense qu’il ne nous faut nous occuper que des airs then de la vie communautaire. L’interprétation du chant then accompagné de dàn tinh (sorte de violon à deux ou trois cordes à manche long dont la caisse de résonance est formée d’une calebasse coupée et séchée, ndlr) est enseignée dans les écoles d’art depuis les années 1960. Elles ont recueilli les airs pratiqués par les maîtres ès then pour les introduire dans des manuels.
L’Association des lettres et des arts populaires du Vietnam a également publié six ouvrages sur des airs then, avec plus de 40.000 vers chacun. Nous, membres de l’Académie nationale de musique du Vietnam, établissons actuelle-ment des statistiques sur les airs then perpétués par les vieux maîtres, une tâche majeure car il n’en demeure aujourd’hui qu’une dizaine, octogénaires, en mesure de restituer des airs authentiques. La plupart de ceux-ci ont en leur possession des ouvrages en nôm (écriture démotique, ndlr) ou en langue Tày, transmis de génération en génération. Nous nous devons les retranscrire en langue moderne, ne serait-ce que pour leur diffusion.
À propos du chant then
Le chant then est une sorte de poème religieux chanté qui conte le voyage d’un personnage vers le paradis afin de converser avec le Génie du ciel ou l’Empereur de Jade. Son contenu comme sa longueur peut varier selon les auteurs, mais les textes sont toujours composés de plusieurs parties. Le plus long connu à ce jour comprend 5.000 vers. Le chant est traditionnellement interprété sur un accompagnement de dàn tinh.
Selon Ma Van Duc, ancien directeur du Service de la culture, des sports et du tourisme de la province de Tuyên Quang, le mot «then» provient du mot «Thiên» (Ciel), raison pour laquelle on le considère ou en tout cas on le surnomme «Chant des fées». Le ministère de la Culture, des Sports et du Tourisme vient d’approuver l’élaboration d’un dossier de then pour le présenter à l’UNESCO pour qu’il soit reconnu patrimoine culturel immatériel représentatif de l’Humanité.
L’Académie nationale de musique du Vietnam est chargée de cette tâche, en collaboration avec les localités où le then est répandu, notamment les provinces de Tuyên Quang, Bac Kan, Bac Giang, Cao Bang, Diên Biên, Hà Giang, Lai Châu, Lang Son, Lào Cai, Quang Ninh, Thai Nguyên et Yên Bai. Le dossier doit être achevé au plus tard le 28 février 2016 pour étude avant sa soumission à l’UNESCO.
Manh Hà-Linh Thao/CVN