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Apparu à la fin du XVe-début du XVIe siècles, le ca trù s'est développé jusque dans les années 1930. |
Personne ne sait où est né le ca trù. Il était pratiqué par les chanteurs dans les maisons communales, aux temples dédiés aux génies, aux pères d'un métier. Il contribuait non seulement aux activités culturelles du village, ou de la commune, mais encore aux cérémonies de réception diplomatique sous les régimes féodaux. Le ca trù, aussi appelé "chant a dao", est une forme complexe de poésie chantée que l’on trouve dans le Nord du Vietnam et qui utilise des paroles écrites selon des formes poétiques vietnamiennes traditionnelles. Apparu à la fin du XVe-début du XVIe siècles, il s'est développé jusque dans les années 1930. Combinaison unique de poésie et de musique, il était joué à la cour royale, et était très prisé de l'aristocratie et de l'intelligentsia.
En 2009, il a été reconnu par UNESCO "patrimoine culturel immatériel nécessitant une sauvegarde d’urgence". Le ca trù, créé par la dame Đào, comporte de nombreuses formes dont la plus typiquement vietnamienne est le hát nói. Hát veut dire "chanter" et nói "dire". Le hát nói mêle le chant et le dire, les citations en chinois hán et la langue nationale, la poésie savante et l’expression populaire. Il obéit à une prosodie rigoureuse basée sur un modèle musical fixe mais flexible. Le morceau classique (du khô) a trois strophes dont deux quatrains et un tercet. Il peut comporter une ou plusieurs strophes additionnelles entre le premier quatrain et le tercet final. Il admet également un prélude et une conclusion (appelés muou) en distiques (six syllabes + huit syllabes) essentiellement vietnamiens.
La chanteuse Pham Thi Huê s'efforce sans cesse de préserver, de perpétuer et de répandre le ca trù. |
La structure poétique et musicale très souple du hát nói permet à l’auteur de chaque morceau de prendre toutes ses libertés pour exprimer son moi, car le lettré se plaît à s’écouter à travers la chanteuse et le musicien accompagnateur. Dans l’ancienne société confucéenne, il ne connaissait que la communauté, le devoir et la raison. Le hát nói lui offrait un terrain pour faire une critique voilée du régime féodal, philosopher sur la vie (Le pouvoir de l’argent de Nguyên Công Tru), méditer sur la futilité des grands événements historiques (La bataille de Xích Bích, du même auteur). Dans chaque lettré confucéen, veillait un épicurien plus ou moins taoïste. Le hát nói lui servait d’échappatoire. Les sentiments individuels refoulés pouvaient s’y étaler librement.
On y chantait la beauté de la nature et le détachement bouddhiste (La pagode des Parfums de Chu Manh Trinh), la poésie des ruines, les plaisirs de l’ivresse, le temps qui passe, l’otium à la manière d’Horace, surtout les joies et les peines de l’amour. L’inspiration rejoint parfois le pétrarquisme et les poètes français du XVIe siècle.
Les groupes de ca trù sont composés de trois personnes : une chanteuse qui utilise des techniques respiratoires et le vibrato pour produire des ornementations sonores uniques, tout en jouant des claquettes ou en frappant sur une boîte en bois ; et deux) instrumentistes qui l’accompagnent de la sonorité profonde d’un luth à trois cordes et du rythme énergique d’un tambour d’éloge. Certaines représentations de ca trù comprennent également de la danse.
Les diverses formes de ca trù remplissent des fonctions sociales différentes : on distingue notamment les chants de dévotion, les chants de divertissement, les chants interprétés dans les palais royaux et ceux interprétés lors des concours de chant). Le ca trù possède cinquante-six formes musicales ou mélodies différentes, chacune appelée thể cách. Des artistes populaires transmettent la musique et les poèmes qui composent le ca trù par transmission orale et technique, autrefois au sein de la famille, mais aujourd’hui à toute personne qui souhaite apprendre.
Présentation de l’art du ca trù au club Thang Long avant le début d’une représentation. |
Résurgence du ca trù
Le 23 février 2020, Google a mis une image illustrant l’espace de représentation du ca trù du Vietnam à sa fonction Google Doodle comme un honneur accordée cet art original du monde. Au-dessus de l’image montrant trois artistes de ca trù assis sur une natte à fleurs, Google a précisé que le ca tru est une sorte de musique traditionnelle du Vietnam, qui fut autrefois un loisir des nobles de la Cour, puis qui pénétra dans la vie des Hanoïens.
Actuellement, le ca trù connaît une forte résurgence grâce aux efforts sans cesse des organes compétents de l’Etat, des organisations internationales et, particulièrement, des artistes, des amoureux de cet art.
Selon les résultats de récentes enquêtes, cet art revit vigoureusement dans plusieurs localités. On a recensé, en 2010, environ 63 clubs dans l’ensemble du pays représentant environ 769 artistes dont 513 chanteuses et 256 instrumentistes. Les clubs opèrent régulièrement et transfèrent cet art aux jeunes.
En plus, l’Institut de musique national du Vietnam conserve des archives de 7 danses, 42 chants de ca trù, 26 documents sino-vietnamien sur l’art du ca tru, et environ 25 livres en la matière. La capitale Hanoï est considérée comme le berceau du ca trù et la première localité en termes d’organisation, de recherche et d’artistes talentueux. Elle ne recensait en 2009 que neuf clubs contre 16 actuellement, 220 pratiquants et 50 enseignants. Les clubs de la capitale augmentent non seulement en nombre, mais s’améliorent encore en qualité. Ils ont restitué et produit une trentaine de chants, d’anciennes danses et cérémonie de représentation et conçu 18 nouveaux airs.
Les clubs disposent actuellement chacun d’un lieu de représentation tels que le club Bich Câu, les temples Quan Dê ou Kim Ngân… d’horaires de représentation réguliers chaque semaine, accueillant aussi bien des habitants locaux que des touristes.
Parmi les célèbres clubs de ca trù de Hanoï, on peut citer le club de Hanoï, dont le siège est au temple de Kim Ngân, arrondissement de Hoàn Kiêm, le club Thai Hà, au 27, rue Thuy Khuê, le club Lô Khe, district de Dông Anh, le club Dông Chu, district de Chuong My, le club Ngai Câu, district de Hoai Duc, le club Tranh Thon, district de Phu Xuyên…
Les touristes se renseignent sur le ca trù à une scène de représentation de ca trù, au temple Quan Dê, à Hanoï. |
Le club Thai Hà, réputé à Hanoï, compte sept générations de membres pratiquant et enseignant. Il se produit régulièrement dans plusieurs lieux de la ville, à des événements culturels spéciaux. Le club est financé par le Fonds Ford et le Département de représentation scénique du ministère de la Culture et du Sport pour enseigner à une trentaine de clubs de plusieurs localités. Plusieurs étrangers venus de Grande-Bretagne, de France, et des États-Unis y sont venus pour apprendre le ca trù, et même faire des études ou une thèse sur cet art vocal.
Après la pluie vient le beau temps. Après avoir surmonté des hauts et des bas dans son développement et de mauvais préjugés de la société, l’art de ca tru vietnamien a pu fait son retour par sa belle identité et ses valeurs humaines indiscutables. Avec sa forte résurgence, fruit des efforts ininterrompus des organes compétents de l’État, des organisations internationales et particulièrement des artistes et amoureux de cet art, on espère que cet art vocal folklorique sortira le plus tôt possible de la liste des patrimoines immatériels nécessitant une sauvegarde d’urgence de l’Unesco, se développera de façon durable et continuera d'enrichir le trésor musical du pays.
Texte et photos : VNP/VNA/CVN