L’AUF fait la promotion de la diversité linguistique

L’Agence universitaire de la Francophonie (AUF) se place à la tête d’un mouvement prônant le plurilinguisme dans la recherche et la diversité des modèles universitaires. Entretien avec son recteur, le passionné linguiste Bernard Cerquiglini.

L’Agence universitaire de la Francophonie (AUF) va se saisir de la question du classement des universités, confie son recteur Bernard Cerquiglini, lors d’une entrevue téléphonique qu’il accorde au Devoir depuis Paris. Des colloques, des débats et des discussions seront organisés par l’AUF autour de ce thème durant la prochaine année. Le sujet est aussi susceptible de surgir lors de l’événement «La recherche et sa diffusion en français», auquel participera M. Cerquiglini le 3 juillet prochain, dans le cadre du Forum de la langue française, à Québec.

«Une université doit s’évaluer, mais est-ce que, pour cela, il faut prendre les critères de Shanghaï ?», demande le recteur de l’AUF, en réaction à ce classement mondial réalisé par l’Université Jiao Tong et édifié en référence. Dans ce palmarès annuel, les universités francophones se retrouvent généralement en mauvaise posture. En 2011, les 20 premières positions étaient l’apanage d’universités étasuniennes et britanniques.

Contre Shanghaï

«Qu’est-ce qu’une bonne université ? C’est une université qui rend aussi service à son pays. Quand vous regardez les critères du classement de Shanghaï, ils sont à pleurer», manifeste M. Cerquiglini. Parmi ces critères, on retrouve le nombre de professeurs, de chercheurs ou d’anciens étudiants ayant reçu un prix Nobel.

Bernard Cerquiglini, recteur de l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF).
Photo : Jacques Grenier - Le Devoir.com

Mais surtout, dans ce classement, une portion importante de la note se base sur le nombre d’articles publiés et référencés dans les revues scientifiques. Or, depuis un bon moment déjà, l’AUF mène une lutte contre la tendance de la majorité des bases de données à se cantonner aux publications rédigées dans la langue de Shakespeare. Une façon de faire qui limite le rayonnement international des articles publiés en français. «Le gros combat, c’est l’indexation, car, et c’est injuste, les grandes bases de données ne tiennent compte que des revues anglophones. Ces bases de données sont souvent étasuniennes. Or il y a du savoir qui se publie dans d’autres langues. En français, en particulier, mais aussi en mandarin, en japonais…», souligne-t-il, car l’AUF fait la promotion de la diversité linguistique. «La communauté scientifique de langue anglaise utilise l’anglais. Point. [À l’AUF], nous utilisons non seulement le français, mais les valeurs associées au français. Et, parmi ces valeurs, il y a la solidarité, l’aide et la diversité», dit le linguiste, auteur du livre Une langue orpheline et animateur des capsules Merci professeur ! sur les ondes de TV5-Monde.

Optimiste, M. Cerquiglini assure que la dynamique a évolué ces dernières années et que l’anglais voit son monopole s’effriter dans les milieux de la recherche. «L’idée que la science doit s’exprimer dans une langue unique est une idée d’ores et déjà désuète, insiste-t-il. L’idée des années 60 - parlons tous anglais, on se comprendra et on fera de la science ensemble - ne tient plus, parce qu’elle a vieilli. On a vu qu’elle était toujours limitée, pauvre, faible et réductrice».

Internet change la donne

Internet a changé la donne avec ses outils facilitant la traduction et la compréhension de textes en langues étrangères. «Je me rappelle l’époque où on disait d’Internet que c’était le cheval de Troie de l’anglais. [Or], les autres langues prennent leur place. Internet, contrairement à ce qu’on disait, est un outil de plurilinguisme». Aussi, le monde «bouge», remarque-t-il. À son avis, les pays émergents perçoivent davantage le monde comme «pluriel». «Il y a une sorte de mondialisation du savoir qui ne passe pas par une uniformisation, constate-t-il. Vous n’allez pas imposer aux Chinois et aux Brésiliens une idée complètement désuète d’unification linguistique. Pas aux Chinois, qui ont une civilisation millénaire et qui vont dire que le mandarin aussi permet de faire de la science».

Lors d’un récent passage à l’Université de Princeton. M. Cer-quiglini ne s’est pas gêné pour dire à certains de ses responsables que, «with English, you are worldly isolated», raconte-t-il, tout juste avant d’ajouter : «Je le pense. L’anglais constitue une communauté scientifique internationale qui finit par être complètement fermée sur elle-même».

L’AUF intègre à son réseau des établissements membres présents dans 98 pays, de l’Inde au Vietnam en passant par le Brésil. Le dernier conseil associatif, qui s’est tenu à Moncton le 24 mai dernier, a vu l’adhésion à l’AUF de nouvelles universités du Japon, de la Bolivie, du Chili et de la Chine. «Je ne suis pas allé les chercher. Elles frappent à notre porte», évoque-t-il comme preuve que les milieux universitaires du monde voient la nécessité d’ajouter à leur arc d’autres langues que l’anglais.

Bref, la vapeur est en train de se renverser, mais M. Cerquiglini souhaite que, dans la Francophonie, les «États assument leurs responsabilités» en soutenant et en valorisant les publications scientifiques francophones. Il signale, du même coup, que la bataille pour la place du français dans la recherche ne passe pas seulement par les rédactions. «Il faut rappeler que les colloques doivent être plurilingues», affirme-t-il, afin que les chercheurs puissent mieux débattre dans la langue qu’ils maîtrisent le mieux. Même constat pour la vie quotidienne dans les laboratoires, qui devrait, selon lui, se vivre en français au Québec comme en France. «C’est anormal que des savants, et même souvent des savants qui ont la même langue maternelle, communiquent dans une langue artificielle. Il faut rappeler que la production du sens, elle passe par la langue maternelle».

Financement

Bernard Cerquiglini est bien à l’affût des polémiques québécoises sur le financement des universités. À chacune de ses visites au siège de l’AUF, à Montréal, «il y a des manifs qui passent devant mon bureau», témoigne-t-il. Sans se mêler de la politique des États ou des recteurs, l’AUF mettra le sujet sur la table. «Tous les recteurs que je rencontre, au Québec, en Belgique, en Afrique, se posent la question du financement des universités. Et, donc, nous allons lancer, à la manière de l’AUF, des débats, des discussions, des colloques là-dessus». Bernard Cerquiglini annonce que, lors de la 16e assemblée générale de l’AUF, prévue en mai 2013 à São Paulo, au Brésil, une table ronde sera dédiée aux questions des sources de financement et de la proportion de la contribution des étudiants.

Chez les 784 établissements d’enseignement supérieur membres de son réseau, les modes de financement varient énormément. «La diversité francophone fait qu’il y a plusieurs modèles et qu’il faut les faire apparaître, les tester. Éventuellement, je rêve d’une publication là-dessus, qui dirait : “Voilà les types de financement, avec leurs avantages et leurs inconvénients”.

AUF/CVN

(Source : Le Devoir.com)

 

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