Karen Armstrong. |
Le professeur américain Howard Machtinger enseignait l’histoire de la «Vietnam war» à l’université. Après un séjour d’étude au Vietnam, il a eu la gentillesse, de m’offrir avant son départ d’Hanoi The great transformation (La Grande Transformation) de Karen Armstrong. Il pensait sans doute qu’un tel livre pourrait intéresser les Vietnamiens de la génération qui avait vécu trente ans de guerre, et confrontée à l’heure actuelle aux bouleversements sans précédent de nos traditions culturelle.
Karen Armstrong, 58 ans, professeur à l’Université d’Oxford (UK), a écrit douze ouvrages sur la religion comparée. Ancienne sœur catholique, elle a évolué du conservatisme à une foi libérale et mystique. Son livre A history of God, publié en 1993, un best-seller international, lui a valu une grande réputation.
The great transformation commence par une vision du monde moderne :
«Peut être chaque génération croit qu’elle a atteint un tournant de l’histoire alors que ses problèmes semblent particulièrement insolubles, et que notre avenir s’avère de plus en plus incertain. Beaucoup de nos difficultés cachent une plus profonde crise spirituelle. Pendant le XXe siècle, nous avons vu une explosion de violence d’une envergure sans précédent. Hélas, notre capacité de se nuire et de se mutiler réciproquement a progressé du même pas extraordinaire que notre économie et notre science. Il semble qu’il nous manque la sagesse de brider notre agressivité, de la maintenir dans les limites appropriées de la sécurité. L’explosion des premières bombes atomiques jetées sur Hiroshima et Nagasaki a révélé l’autodestruction au cœur des brillantes réalisations de notre culture moderne. Nous risquons une catastrophe environnementale parce que nous ne considérons plus la Terre comme sacrée, mais simplement comme une «ressource». À moins qu’il n’y ait quelque sorte de révolution spirituelle à la hauteur de notre génie technologique, il n’est pas probable que nous puissions sauver notre planète. Une éducation purement rationnelle ne suffit pas. Nous avons constaté à nos dépens qu’une grande université pourrait exister dans l’enceinte d’un camp de concentration. Auschwitz, Rwanda, Bosnie et la destruction du World Trade Center étaient tous des épiphanies montrant ce qui pouvait arriver quand le sens de l’inviolabilité sacrée de chaque être humain est perdu».
Les grandes religionset pensées à l’âge Axial
Il faut à l’humanité une forte dose de spiritualité à notre époque menacée d’apocalypse. D’après le philosophe existentialiste allemand Jaspers (1883-1889), la sagesse humaine a atteint son apogée pendant les cinq siècles de l’Age Axial, de 800 à 300 avant l’ère chrétienne. Prophètes, fondateurs de religion, philosophes et poètes de cette ère ont laissé un héritage spirituel indépassable incontournable. Karen Armstrong se fait l’exégète et l’interprète de ce constat de Jaspers.
D’après elle, au cours de cette période, dans quatre régions du monde s’étaient développées de grandes traditions qui ont continué à imposer l’humanité : le confucianisme et le taoïsme en Chine, l’hindouisme et le bouddhisme en Inde, le monothéisme en Israël et le nationalisme philosophique en Grèce. C’était la période de Bouddha, de Socrate, de Confucius, de Jérémie, des mystiques et des upanishad, de Mencius et d’Euripide. Dans une atmosphère d’intense créativité, les pionniers de la pensée philosophique et religieuse avaient accompli une œuvre de pionniers. Nombre d’entre eux œuvraient dans l’anonymat, plusieurs sont devenus des lumières qui nous éclairent encore parce qu’ils nous montrent ce que doit être l’être humain. L’esprit humain n’a jamais pu dépasser leurs conquêtes. Le judaïsme rabbiniste, le christianisme et l’Islam ne sont que des fruits tardifs de l’Âge Axial.
Nous vivons dans la peur et la souffrance. Les sages de l’Âge Axial nous apprennent à faire face à la souffrance, liée à la vie humaine. C’est en acceptant notre propre douleur que nous pouvons réaliser l’empathie, l’identification affective à la douleur d’autrui. Aujourd’hui nous sommes submergés d’images de la souffrance, beaucoup plus que les générations qui nous ont précédés : calamités naturelles, famine, pauvreté, épidémies envahissent nos foyers. Il ne faut pas pratiquer l’attitude de l’autruche, refuser délibérément de voir la souffrance d’autrui pour ne penser qu’à la sienne. Ou bien s’adonner à la terreur pour se venger. Pour sauver l’humanité, il faut revenir à la règle d’or préconisée par les grandes religions et les grandes pensées de l’Âge Axial : la compassion. Et pour cela, il faut apprendre à voir les choses avec les yeux des autres, sortir de son moi pour devenir nous. Mencius nous suggère d’aller à la recherche du cœur perdu, la compassion qui est l’essence de toutes les grandes traditions humaines.
Huu Ngoc/CVN