La vocation religieuse d’un roi

Le roi Trân Thai Tông (1218-1278), fervent bouddhiste, a laissé plusieurs ouvrages de la doctrine de Bouddha, en particulier le Khoa hu luc (Livre de la Pratique du Vide).

Dans cette œuvre traitant de la doctrine de Bouddha et de la pratique de la religion bouddhique, l’auteur discute des notions d’harmonie, de permanence, de transformation du réel et affirme sa position personnelle, différente de celle des six Bonzes supérieurs fondateurs du bouddhisme chinois traditionnel (Luc tô).

 

Chaque année, du 1er mois lunaire à la fin du 3e mois lunaire, des pèlerins se ruent vers la terre sacrée de Yên Tu (province de Quang Ninh, Nord) pour rendre un culte à Bouddha.

Ci-dessous est un extrait de l’œuvre :

Prédication sur le corps apparent (1)

Pour tous les hommes, le corps est la source de la souffrance, sa substance est à l’origine du Karma(2). Considérer le corps comme réel, c’est s’identifier à celui qui reconnaît un brigand comme son propre fils.

Examinons minutieusement la question : où se trouve-t-il, ce corps apparent, avant sa matérialisation par le fœtus ? L’apparition des désirs engendre les corrélations. Les cinq moyens de conscience(3) rassemblés donnent naissance au corps et à la forme, tous les deux aussi faux qu’éphémères.

L’on oublie le vrai et la base, et l’on considère comme réels le mensonge et le faux. Alors, garçons ou filles, qu’ils soient beaux ou laids, tous s’élancent éperdument, lâchant la bride à leurs désirs et aucun ne pense à revenir sur ses pas pour retourner à son être véritable. Dans cette course effrénée sur la route de la vie et de la mort, ils perdent toute leur nature originelle. Les yeux rivés à la perception du monde extérieur, personne ne pense à détourner la tête et à regarder en lui-même. Soumis à la loi du changement continu dès la naissance, partout et toujours, chacun ne fait que parler de rêve, tout en rêvant. S’agitant et se démenant, chacun prend le faux pour le vrai, tourne le dos à la doctrine du Néant et recherche l’Apparence.

Des marionnettes mues par des ficelles

On pare de fleurs et de jade ce crâne nu comme un puisoir, on parfume de musc et de santal cette poche de peau fétide qu’est le corps. On taille de la soie fleurie pour envelopper ce sac de pus et de sang, on met du fard sur cette tine de matières fécales. Toutes ces parures extérieures cachent un fonds d’ordures. Incapable d’avoir honte de ce corps malsain, pis encore, ou lui voue un véritable culte.

Les humains en grande majorité sont comme des marionnettes mues par des ficelles. Maniés, ils semblent bien vivants ; laissés à eux-mêmes, c’est la mort véritable. Les ruses et les stratagèmes proviennent de l’offensive des six brigands(4). On ne se soucie guère de l’arrivée prochaine de la vieillesse, de la maladie, de la mort, on se livre aux passions de l’alcool, de la concupiscence et de l’argent. Pour des avantages mesquins plus petits qu’une tête de mouche ou une corne d’escargot, on se résigne à être mis aux fers de l’intérêt et enchaîné par les rênes des honneurs. Le jour se passe à poursuivre les vains plaisirs, la nuit est tourmentée par des cauchemars. S’accumulent les mauvaises actions, comme des couches de boue au fond d’un puits, sans que l’on prenne conscience que déjà les cheveux blanchissent comme du givre.

Riches et pauvres, tous sont sujets à la mort

Un beau matin, la maladie contractée s’exaspère et la vie de cent ans se réduit à grand songe. Les entrailles vous torturent comme d’implacables ennemis, le corps évoque celui d’un diable mort de faim. Pourtant, on cherche encore à faire des sacrifices en vue de prier les esprits et de changer son destin, mais on ignore qu’une telle action entraîne la mort des animaux et porte atteinte à la vie. Aspirant à une existence aussi longue que les pins séculaires, on oublie que son corps n’est rien moins qu’une maison délabrée.

Les esprits vitaux se rendent déjà aux enfers, mais le cadavre reste parmi le monde humain. Les cheveux et les poils, comme les ongles et les dents, n’ont pas encore le temps de se décomposer, que déjà les secrétions et les mucus apparaissent. La putréfaction commence par le pus et le sang, les miasmes infectent ciel et terre. Qu’elles sont horribles à voir, ces enflures noirâtres, comme ces marques bleues ! Riches et pauvres, tous sont sujets à la mort. Le cadavre est-il enfermé dans la maison, des vers apparaissent avec la décomposition. Est-il jeté sur la grande route, il sera la proie des corbeaux comme des chiens. Le passant doit se boucher le nez en poursuivant son chemin, le fils pieux verse un panier de terre pour cacher le corps. Les ossements un fois ramassés et enterrés, le cercueil est confié à la garde d’une luciole solitaire, la tombe est abandonnée dans les montagnes désertes, à dix mille lieues de distance. Le visage rose couronné de cheveux bleus d’autrefois devient de cendre verte mêlée à des os blancs.

1. Terme bouddhique : le «corps apparent» (sac than) est l’opposé du «corps réel» (chan than).

2. Nghiêp : Karma. Acte psychique, bon ou mauvais de la vie présente, qui entraîne rétribution ou sanction dans l’existence suivante - Enchaînement des causes qui produit les renaissances successives.

3. «Ngu uân», terme bouddhique désignant les cinq moyens de prise de conscience du monde extérieur : sensation, perception, imagination, action, connaissance qui, en «se rassemblant», engendrent le corps.

4. «Luc tac» : les six sources de la tentation, considérées comme les six ennemis de la perfection bouddhique : la beauté, les sons, le parfum, le goût, le toucher, la pensée.

 

Huu Ngoc/CVN

(À suivre)

 

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