La renaissance salutaire des cultures minoritaires

«S’intégrer dans le monde mais sans se diluer». Une devise tout à fait d’actualité pour le Vietnam, qui s’emploie à défendre jalousement son identité nationale. Rencontre avec quelques «gardiens» d’ethnies minoritaires.

>>Préservation et exploitation des valeurs culturelles des ethnies minoritaires

>>Préservation des œuvres littéraires et artistiques des ethnies minoritaires

>>À la découverte des cultures asiatiques au Musée d’ethnographie du Vietnam

Les femmes de Ê-dê à Dak Lak (Hauts plateaux du Centre).
Photo : Pham Cuong/VNA/CVN

La vie se modernise au fur et à mesure du développement socio-économique et de l’intégration internationale du pays. Du fait, des couleurs caractéristiques des ethnies minoritaires ont tendance de se transformer, voire de se perdre. Nombreux sont les autochtones soucieux de préserver leur culture ancestrale. Chacun a sa façon d’agir, pour un but commun : faire perdurer les couleurs patrimoniales des montagnards.

Retour des airs folkloriques San Chi

«Les airs folkloriques de l’ethnie San Chi existent depuis belle lurette. Dès mon enfance, je les ai appris auprès de ma grand-mère et ma mère. Il est triste qu’à présent les jeunes n’aiment plus les anciennes chansons, mais la musique moderne venue d’ailleurs», confie Ly Thi Keo, présidente du Club des amateurs d’airs folkloriques San Chi du village de Nong, district de Luc Ngan, dans la province de Bac Giang (Nord).

Pour elle, il y avait un temps où le folklore s’était éclipsé de la communauté ethnique. La situation a changé depuis que les airs San Chi ont été reconnus en tant que «Patrimoine culturel immatériel national» en 2012. Les villages ont connu un second souffle avec la naissance dans chaque village d’un club du folklore San Chi. «Notre club compte quelque 40 membres de tous âges. Il se tient le soir, où les membres apprennent ensemble des anciens airs auprès des vieillards», s’enthousiasme la chanteuse amatrice sexagénaire. Et d’élever sa voix argentine en interprétant une chanson si douce.

Les jeunes femmes de San Chi à la Journée culturelle des ethnies minoritaires à Cao Bang (Nord).
Photo : Quôc Dat/VNA/CVN

À présent, les airs folkloriques sont inextricablement liés à la vie culturelle et spirituelle des San Chi qui ont réussi à rassembler plusieurs milliers de chansons différentes. Celles-ci s’inspirent pour la majorité de quatrains composés de sept mots, chantés alternativement par un homme et une femme.

Dans l’intention de transmettre le folklore à la nouvelle génération, Ly Thi Keo a ouvert des cours gratuits à l’intention des jeunes et moins jeunes.

L’artiste amateur Lâm Minh Sâp, président du Club des amoureux d’airs folkloriques San Chi du district de Luc Ngan, consacre tout son temps à la recherche d’anciens airs de son ethnie. Il parcourt de long en large toute la région montagneuse, tentant de les recueillir auprès des vieillards.

«J’ai un profond souhait : conserver le trésor culturel et artistique des San Chi, et le transmettre aux jeunes générations. C’est l’âme et aussi la fierté d’une ethnie montagnarde», confie Sâp.

Des fêtes villageoises Kho-Mu ressuscitées

Le fête d'imploration de la pluie des Kho-Mu se tient juste avant la saison des récoltes.
Photo : Thanh Hà/VNA/CVN

Des hommes en costume traditionnel de l’ethnie Kho-Mu s’avancent pas-à-pas en ordre rangé, chacun perçant des trous dans la terre au moyen d’un bâtonnet de bois. Les femmes les suivent juste derrière, et jettent dans chaque cavité quelques semences. Des mouvements souples et gracieux s’exécutent aux rythmes de tambours et d’instruments de musique locaux. C’est la danse de «la culture du riz» des Kho-Mu, présentée lors de la Fête d’Imploration de la pluie, se tenant juste avant la saison des récoltes.

Dans la province de Diên Biên (Nord), les Kho-Mu du village de To Cuông, district de Muong Ang, se montrent fiers de préserver un maximum de fêtes originales de leur ethnie. «Depuis 2013, nous en organisons annuellement cinq : la Fête d’Imploration d’une bonne récolte, celles de l’Ensemencement, de l’Accueil du nouvel riz, de l’Hommage rendu au village, et enfin d’Imploration de la pluie», explique le chef du village Quang Van Ca, fin connaisseur des us et coutumes des Kho-Mu.

Auparavant, il n'y avait que deux fêtes - l'Ensemencement et l’Accueil du nouvel riz - qui étaient organisées à un niveau familial, les trois autres ayant sombré dans l'oubli. «Une négligence insouciante qui m'a déchiré le cœur. Car, dans une certaine mesure, les fêtes traditionnelles illustrent l'âme et l'identité des Kho-Mu», selon le chef de village. Jours et nuits, il a nourri l'ambition de faire revivre les pratiques ancestrales. Son idée a été soutenue par le Musée des ethnies de la province, l'Institut de la culture et des arts du Vietnam et le Centre national d'archives patrimoniales. Une aide précieuse pour les Kho-Mu à ressusciter ces événements festifs menacés de disparition, et à redonner un second souffle au village.

«Je suis ravie d'être présente dans la troupe artistique du village. Nos vies étant loin d’être aisées, nous nous regroupons à quatre pour acheter un costume de scène. Une fois sur la scène, nous nous sentons heureux et fiers de l’essence culturelle des Kho-Mu», confie Lò Thi Loan, paysanne.

Us et coutumes des Pa-cô revitalisés

Les mariés de Pa-cô (en rouge) à leur mariage traditionnel.
Photo : Thanh Hà/VNA/CVN

Dans le district de Dakrong, province de Quang Tri (Centre), Kray Suc est un septuagénaire connu comme le loup blanc. Depuis une dizaine d’années, il se consacre corps et âme à la recherche, à la conservation et à l'embellissement des us et coutumes traditionnelles de son ethnie Pa-cô.

Cela a commencé en 2004 lorsque Kray Suc a été nommé au poste de chef des Services culturels de la commune de Tà Rut. L’occasion pour lui de donner vie à son vœu : collectionner les objets et instruments de musique d’antan, récolter les coutumes ancestraux et les airs folkloriques, ou encore apprendre l’écriture des Pa-cô. «C’est un trésor culturel riche et varié. Malheureusement, à cause de la guerre qui a durée très longtemps, ce dernier s’en est retrouvé dépouillé. Outre la dispersion des objets antiques, nombreuses sont les pratiques coutumières et les mélodies ancestrales qui sont tombées dans l’oubli», confie-t-il. D’un jour à l’autre, il a débarqué dans les villages, rencontré des vieillards, et fouillé toutes choses liées à cette vie d’antan.

Petit à petit, l’oiseau fait son nid. Jusqu’ici, notre homme a réuni une centaine d’instruments de musique comme des gongs en tous genres, des tambours Toong, des flûtes Khui, Tirel ou Bê.

Les anciennes chansons étant écrites en dialecte, Kray Suc a pris soin de les traduire en Vietnamien. À son initiative, nombre de chansons traditionnelles Pa-cô ont été introduites dans le programme d’études des écoles primaires locales. De plus, un club local d’amateurs d’airs folkloriques Pa-Cô a vu le jour, rassemblant des dizaines de membres.

«Pour le moment, j’ai deux projets ambitieux à réaliser : faire apprendre la langue Pa-cô à l’école et construire un mini-musée dédié aux objets traditionnels de l’ethnie», lance Kray Suc, optimiste. Et d’espérer le soutien des responsables.

Nghia Dan/CVN

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