La poésie bouddhiste de l’ancien Vietnam

Les dynasties des Ly et Trân ont fait du Vietnam libéré de l’emprise étrangère un pays prospère et puissant, dans une ambiance de tolérance spirituelle et d’ouverture intellectuelle marquée par l’idéologie bouddhique.

Le premier État vietnamien formé au premier millénaire avant l’ère chrétienne fut dominé pour l’emprise chinoise pendant plus de dix siècles (IIe siècle av. J.C-938). Le roi Ngô Quyên a eu le mérite à reconquérir l’indépendance du Vietnam. Mais ce sont les dynasties des Ly (1010-1225) et des Trân (1225-1400) qui ont fait du Vietnam libéré de l’emprise étrangère un pays prospère et puissant, dans une ambiance de tolérance spirituelle et d’ouverture intellectuelle marquée par l’idéologie bouddhique.

Sous les dynasties des Ly et Trân, le bouddhisme est devenu religion d’Éta

Esprit bouddhiste dans la poésie

Le bouddhisme est devenu religion d’État. Et comme la poésie était l’expression favorite de toutes les catégories sociales, c’est dans la poésie qu’on peut chercher l’esprit bouddhiste de cette époque. Un ouvrage, Thiên Uyên tâp anh (Florilège du Jardin du Thiên), publié au XIVe siècle, est riche d’enseignement à ce sujet.

C’est un recueil de gâthas (kê), courts poèmes écrits par les moines patriarches avant leur mort pour laisser des conseils à leurs disciples, condensent leurs méditations. Cet ouvrage donne aussi les biographies de leurs auteurs, moines de la période des Ly. Il est l’image fidèle de la doctrine du Thiên qui marque le bouddhisme vietnamien Thiên ou chan na en chinois, zen en japonais, qui vient du sanscrit dhyana. Il désigne la concentration de l’esprit hors de l’expérience, hors de l’enchaînement des causes et conséquences qui fait la vie courante, qui met la conscience ordinaire comme en un sommeil sans rêve et permet de rester dans l’existence personnelle tout en se trouvant dans le calme complet de l’être en soi. Nous pouvons dire intuition qui signifiait en français classique une forme de connaissance immédiate étrangère au raisonnement discursif, et même la vision directe de Dieu ; mais il faudrait qu’elle ne produise aucun concept, surtout pas celui d’un Dieu personnel. Ce serait donc l’intuition «du vide sans l’idée du vide»… Le bouddhisme conçoit une certaine vanité de l’enseignement, des prières et des cultes. Le bouddhisme, c’est le cœur (tâm, l’esprit), il n’y a pas de Bouddha en dehors du cœur, (d’après Philippe Langlet et Dominique de Miscault - un livre des moines bouddhistes dans le Vietnam d’autrefois - Aquilon, Paris).

Ci-dessous, nous donnons un choix de poèmes bouddhiste de la période Ly-Trân (XIe-XIVe siècle), (Cf.Anthologie de la littérature vietnamienne publiée sous la direction de Nguyên Khac Viên et Huu Ngoc - Éditions des langues étrangères de Hanoi).

Vieux textes à présenter

Ngô Chân Luu (959-1011), «Chef suprême du clergé bouddhique», grand Maître bouddhique et soutien de la nation Viêt, a laissé ce gâtha, un des plus vieux textes de notre littérature :

Le bois contient en essence le feu,

Et ce feu parfois renaît

Pourquoi dire qu’il n’y réside par

Si le feu jaillit quand ou fore le bois ?

Le moine Van Hanh (?-1018) conseiller du roi Ly Thai Tô, donne les conseils suivant à ses disciples dans ce gâtha :

La vie de l’homme est un éclair, sitôt né sitôt disparu,

Verdoyant au printemps, l’arbre se dépouille à l’automne :

Grandeur et décadence, pourquoi s’en effrayer

Épanouissement et déclin ne sont que gouttes de rosée perlant sur un brin d’herbe.

Le roi Ly Thai Tông (1000-1054) fait l’éloge du bonze indien Vinitaruci. (1)

Vénérable ! Vous êtes venu sur nos terres du Sud.

J’ai ouï dire que vous aviez longtemps pratiqué le Thiên (2)

Propageant la foi en les Bouddhas,

Pour que la communion de tous, même dans les régions lointaines, s’alimente à la seule source : le cœur humain (3).

Sur la montagne de Lang Gia (4), la lune brille ;

Les lotus du Bat Nha (5) exhalent leur parfum.

Peut-être nous rencontrerions-nous un jour

Pour aborder ensemble les mystères de l’Univers ?

Le moine Viên Chiêu (990-1091), neveu d’une reine, commente sur la mort dans ce gâtha :

Près de mourir, le corps humain, tel un mur délabré, s’écroule,

Face à la mort, nul ne peut maîtriser une détresse immense.

Pourtant, si, pénétré de cette vérité qu’ayant atteint la vacuité de l’âme, toute chose perçue apparaît illusoire,

On laissera s’accomplir la grande loi d’évolution qui régit tout, réel ou irréel, visible ou invisible.

La bonzesse Diêu Nhân (1072-1113), de sang royal, rappelle les jalons de la vie humaine :

Naissance, vieillesse, maladie, mort

Se perpétuent depuis les premiers âges.

Veut-on s’en délivrer,

Les liens dénoués se resserrent davantage.

Dans l’aveuglement, on s’adresse à Bouddha,

Dans le trouble, on s’adresse au Dhyana

Ne t’adresse ni à Bouddha, ni au Dhyana,

Reste muet car les mots ne sont que verbiage.

Le bonze Man Giac (1052-1096) trouve une étincelle de joie dans le temps qui passe :

Quand le printemps s’en va, les fleurs tombent, innombrables,

Quand revient le printemps, elles s’ouvrent à profusion

La vie coule devant les yeux,

Déjà la vieillesse blanchit les cheveux.

Ne dites pas qu’avec le déclin du printemps se détache toutes les fleurs.

La nuit d’hier, une branche d’abricotier s’est épanouie dans la cour.

(1) Vinitaruci, bonze indien. Après avoir séjourné plusieurs années en Chine, il arriva en 580 au Vietnam. Il fonda la secte Thiên dans notre pays alors appelé Giao Châu et placé sous la domination féodale chinoise.

(2) Thiên : méditation bouddhique.

(3) Autre version : l’esprit.

(4) Lang Gia : Mont Lanka, au pays de Bouddha (Ceylan). Autre interprétation : Lankavatara sutra (discours philosophique que çakyamuni aurait prononcé sur le Mont Lanka. C’est un texte adopté par le Dhyana).

(5) Bat Nha : Prajna (sino-vietnamien : tuê, tri tuê) ou intelligence, connaissance, sagesse. Troisième principe de la discipline bouddhique et une des six Vertus exigées par le Mahayana.

Huu Ngoc/CVN

(à suivre)

 

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