>>Bùi Hiên, le nouvelliste
>>La paix dans la retraite
Nguyên Hang, fait de brillantes études. Reçu licencié Huong công, il refuse de se présenter au concours royal de doctorat pour ne pas servir la dynastie illégitime des Mac. Pour garder son intégrité, il se réfugie dans la province de Tuyên Quang (Nord). Dans son fameux phú (morceau de prose rythmée) dont des extraits sont donnés ci-dessous, le lettré chante la paix dans la retraite et exprime une pensée plus proche du détachement faible que de l’engagement confucéen.
Tinh cu ninh thê phú
(La paix dans la retraite)
Assis au flanc de la montagne, la chevelure dénouée, je contemple le déclin du soleil.
Sans hâte, je cueille des légumes, des canneliers pour la corbeille pendue sous mon aisselle,
Je porte allègrement une calebasse emplie goutte à goutte à l’eau de la source.
De bonne heure, je balaye l’abri sanctifié de retraite pour préparer les grains d’immortalité
L’après-midi, je lis longuement, appuyé au rocher.
Quelquefois, avec un bâton de bambou et des sandales d’herbe, je marche pas à pas, puis m’assieds au bord du ruisseau, chantant à haute voix en frappant la cadence.
D’autres fois, je me fais une natte de feuilles, l’étends sur un lit de rotin et m’y couche jambes croisées, jouissant du vent frais sur le seuil de ma porte.
Calme, je suis facilement la Voie de la Vertu, et faisant du Livre sacré un oreiller, je m’endors d’un sommeil profond et d’un ronflement régulier.
Content de mon destin, et conscient des futilités terrestres, je montre du doigt un nuage, et je ris bruyamment en frappant dans mes mains.
Observant l’éclosion et la chute des fleurs, je compte sur les phalanges des doigts pour connaître le rythme des saisons.
Suivant le vol des hirondelles et des oies sauvages, je prévois le changement du temps et me réjouis des signes annonçant le printemps.
Le ciel me donne assez d’argent avec les flocons de neige
La terre est riche en plaques rondes de mousse, comme pièces thésaurisées.
Humanité et droiture donnent à mon caractère son harmonie, trésor inappréciable que je lègue à mes descendants.
La rivière Ngô Dông dans la province de Ninh Binh (Nord). |
Point n’est besoin d’acheter à quiconque les mots «pureté et loisirs», c’est pourquoi ma bourse est toujours emplie de monnaie sonnante.
Herbes et plantes m’aiment pour ma paresse,
Eaux et montagnes connaissent à fond ma simplicité sans fard.
Le chant des oiseaux dans les forêts annonce les veilles de ma vie solitaire,
Des mares monte le cri des grenouilles, accompagnant de leur tambour quelque musique joyeuse.
L’épervier volant au ciel, le poisson sautant hors du gouffre me révèlent les lois secrètes de la vie (1)
Contemplant la lune à son déclin et le lever du soleil, je réalise le mouvement perpétuel du monde.
Pour chasser la cupidité, tarir la source empoisonnée (dans mon âme), je cultive le liseron flottant dans une flaque d’eau,
Pour dissiper les rêveries malsaines, anéantir toute tristesse, je plante quelques rangées de huyên (2) dans un minuscule jardin.
Je soigne des haricots, des patates, et comme plantes d’agrément,
Suivant les saisons, je sème du millet ou du seigle.
À l’aube, pour aller labourer la vallée couverte de neige, je suis pas à pas les raccourcis pareils aux pattes étiques des grues, ou les coteaux couverts de thé, par les cols fleuris de camélias,
Le soir, je vais couper le bois dans des forêts au milieu des nuages.
Portant allègrement la charge sur l’épaule, je longe à travers les rangées de saules et les bosquets de pins, les sentiers sinueux comme les intestins des boucs.
Libres à tous ceux qui viennent y explorer les sources des cours d’eau ou chercher les traces des êtres vivants !
J’obéis aux préceptes anciens disant qu’il faut sauvegarder sa vie et mépriser toutes choses qui sont étrangères à la Voie,
Pour ne pas tomber dans la médiocrité, et devenir inutile à la société, malgré les grands bienfaits reçus du Ciel et de la Terre.
Immense est l’océan agité de lames aux crêtes d’argent, n’y invitons pas les poissons minuscules des rivières ;
N'entraînons pas des roitelets dans les épaisses forêts et les
montagnes vertes.
Le paysage à la campagne en peinture. |
Bien que jours et mois aient connu un bonheur légendaire sous l’empereur Thuân où brillait pour tous un soleil égal
J’aime pourtant vivre au milieu des montagnes et des eaux qui semblent appartenir à l’empereur Nghiêu, et je tambourine doucement mon ventre nourri de légumes.
Ne voyez-vous pas :
Une voile légère glisse sur la mer du Nord emportant celui qui fuit le trouble du courant pour revenir à la source limpide (3)
Prenant le frais au mont de l’Est à cette époque de décadence comme une partie d’échecs touchant à sa fin, voici l’homme capable de rétablir l’ordre (4).
Paysan, berger, pêcheur et bûcheron, je fais un peu de tout
Je suis en même temps confucéen, médecin, taoïste, bouddhiste.
Je m’appuie aux nuages, me baigne dans les sources, jouissant d’une liberté complète
Loin de moi l’idée de présenter au Roi quelques placets, en vue d’obtenir un poste et de suivre son char.
Sans hâte durant les douze mois de l’an, je me félicite d’être né dans une période de paix et de prospérité ;
Me promenant tous les trente six mille jours, je suis la Voie menant à la Vie éternelle (5)
Quelqu’un se moque-t-il de ma stupidité et de mon indolence,
Je prends l’air ahuri d’un quelconque imbécile.
Huu Ngoc/CVN
-------------------------------------------
1. allusion à un vers du «Livre des poésies» (Chaque être vivant doit agir conformément aux lois de la Nature)
2. herbe censée avoir la vertu de faire oublier tout souci.
3. allusion à Ba Di, un sage de l’antiquité chinoise qui fuit les troubles sous le tyran Tru, et se retirait près de la mer du Nord.
4. allusion à Ta An sous les Tsin vivant dans la retraite du mont de l’Est. Invité à plusieurs reprises par le roi, il consentit à la fin à venir à la Cour, devint ministre et vainquit les envahisseurs T’sin.
5. nombre de jours en cent ans, limite de la vie humaine.