>>Tây Nguyên : un héritage culturel inestimable à préserver
La nhà rông est une construction à l’architecture originale qui symbolise l’âme des villages montagnards. Mais, l’image de la nhà rông risque aujourd’hui de prendre un coup… de jeune, au grand dam des traditionalistes.
La nhà rông est une grande maison sur pilotis à toiture très pentue où ont lieu toutes les activités communautaires. C’est le coeur du village, là où durant les jours de fête, se déroulent les cérémonies cultuelles et les réjouissances populaires arrosées de ruou cân (alcool de riz siroté avec une tige de bambou) et animées aux sons entêtants des gongs. C’est également ici que les villageois se réunissent le soir pour deviser, chanter ou raconter des épopées transmises oralement de générations en générations. De par son statut de centre de la vie sociale villageoise, elle se rapproche beaucoup du dinh (maison commune) des villages traditionnels du delta du fleuve Rouge.
Une nhà rông traditionnelle au toit de paille dans le Tây Nguyên. |
Photo : Sy Huynh/VNA/CVN |
La nhà rông est un ouvrage emblématique de chaque village d’ethnies minoritaires du Tây Nguyên. Cette superbe construction sur pilotis, toute en bois, est dominée par un immense toit au faîte orné de motifs décoratifs des plus raffinés. Vu de loin, la nhà rông fait penser à un voilier. D’autres y voient l’image d’une énorme hache dont le tranchant serait vaillamment orienté vers le ciel. Une manière d’exprimer la volonté des montagnards de braver les intempéries qui s’abattent en permanence dans cette contrée.
Terrain propice, matériaux naturels
«Chez les ethnies minoritaires du Tây Nguyên, la création d’un nouveau village dépend obligatoirement de deux conditions : le terrain qui doit être à même d’accueillir la nhà rông et les ressources en eau, les plus abondantes possibles», explique A Pic, 80 ans, patriarche du village de Kon Klor peuplé par l’ethnie Ba Na, dans la ville provinciale de Kon Tum. D’ordinaire, cette maison doit être érigée sur un terrain élevé entouré d’un bel environnement. «Le choix de l’emplacement, perçu comme l’un des travaux les plus importants, est décidé par des personnes âgées expérimentées», selon l’octogénaire, pas peu fier de la nhà rông de son village, située sur un «terrain propice» au milieu d’arbres séculaires et à proximité d’un pont suspendu enjambant le fleuve Dak Bla.
Tous les villageois, sans exception, viennent mettre la main à la pâte pour la construction. On y apporte de l’argent, des matériaux et aussi un don de soi se traduisant par des journées de travail. Si la construction proprement dite ne demande que deux à trois mois, le travail préparatoire, lui, s’exécute des années auparavant.
Les matériaux de construction (troncs de diverses tailles, herbe à paillote…) proviennent des sylves du Tây Nguyên.
Les habitants partent alors dans des forêts reculées, distantes parfois de 60-70 km, pour chercher ce dont ils ont besoin. Il faut en effet ériger des dizaines de colonnes principales (de 40-50 cm de diamètre pour 5-6 m de hauteur) pour soutenir l’ouvrage au toit de paille, sans oublier des centaines d’arbalétriers et de voliges. La recherche de l’herbe à paillote est également un travail harassant, car on ne la trouve que dans les landes nichées au fin fond des montagnes.
Mais à cœur vaillant, rien n’est impossible ! Les volontaires partent nombreux, en groupe, emportant avec eux le minimum syndical - à savoir une nourriture frugale constituée d’une boule de riz préparée à l’avance - et passant des nuits à la belle étoile. Une fois le rassemblement des matériaux terminé, la construction de l’édifice peut commencer.
Aucun mot ne serait assez fort pour décrire la joie des villageois le jour de l’inauguration de leur nhà rông. Pour ce qu’il convient d’appeler la «pendaison de crémaillère», chaque famille apporte avec elle deux ou trois jarres d’alcool et une certaine somme contribuant à l’achat d’un beau buffle servant d’offrande dédiée au culte des génies et des ancêtres. Après la cérémonie rituelle organisée devant la nhà rông, vient le temps des festivités. Dans une ambiance bon enfant rythmée aux sons incessants des gongs, tout le monde s’adonne corps et âme aux réjouissances -
danser, chanter, conter des épopées, siroter de l’alcool avec un chalumeau - 24 heures durant. Un grand moment.
Et une nhà rông moderne au toit en tôle. |
La nhà rông menacée par la modernité
Depuis quelques temps, une réalité que l’on pensait impossible il y a encore peu est apparue dans certains villages du Tây Nguyên : plus la vie se modernise, plus le rôle de la nhà rông traditionnelle est négligé, au point que celle-ci est désertée et se détériore au fil du temps. Au village de Ko Nâm, le toit de la maison se délabre tristement. «Si auparavant, les habitants étaient prêts à aller chercher de la paille de rechange, aujourd’hui, la plupart veulent se cotiser pour poser un toit en tôle», se plaint le chef du village, Y Jut, dans un soupir. D’un certain point de vue - économique, on s’entend -, leur argument «tient la route» : les jeunes d’aujourd’hui n’ont qu’un souci en tête : chercher du travail pour gagner de quoi vivre confortablement. Au dépend, bien entendu, de leur devoir communautaire. De surcroît, un toit en tôle peut résister 10 à 15 ans, contre 3 à 4 ans pour un en paille.
Déjà, des nhà rông couvertes de tôle ont fait leur apparition ici et là au Tây Nguyên. Seuls les plus anciens montrent clairement leur désarroi, à l’instar du vénérable A Hua, morose : «Le toit en paille fait la particularité de la maison. C’est lui qui sert de climatiseur naturel de la bâtisse, donnant une certaine fraîcheur en été et de la tiédeur en hiver. C’est triste de voir que les jeunes de nos jours ne s’intéressent plus ou presque à la conservation de l’image et de l’âme du village».
Cette situation «ubuesque» n’a pas laissé de marbre les autorités locales. La province de Kon Tum a demandé aux localités d’établir des statistiques sur l’actuelle situation des nhà rông, avant d’avancer des mesures efficaces pour protéger l’originalité de la culture du Tây Nguyên. «Avec les gongs, la nhà rông fait partie intégrante de la culture millénaire des ethnies montagnardes. Il est de notre devoir de perpétuer les traditions léguées par nos ancêtres», insiste Lê Thi Kim Don, vice-présidente du Comité populaire de Kon Tum.
Nghia Dàn/CVN