>>La Marseillaise du général Giap
Après 55 jours et nuits de combat, le 7 mai 1954, l’armée vietnamienne, dirigée par le général Giap, remporte la victoire sur les forces françaises de Diên Biên Phu. |
Photo : Archives/VNA/CVN |
Le vainqueur des Français à Diên Biên Phu saluant les couleurs françaises au son de La Marseillaise à l’ambassade de France à Hanoi à l’occasion de la Fête nationale française (14 juillet), le spectacle ne manque pas de sel et revêt une grande valeur symbolique.
La Fête du 14 juillet 1989 est une date importante puisqu’elle célèbre le bicentenaire de la Révolution française. L’ambassade de Hanoi invite à cette occasion 2.000 Vietnamiens qui comprennent, en dehors des autorités civiles et militaires, des représentants de toutes les branches d’activités : sciences, arts, lettres, économie.
Le général Giap vient en tant que vice-Premier ministre, représentant du gouvernement vietnamien. Il est accompagné de son épouse, ce qui est une surprise car à l’époque il est très rare de voir un dirigeant apparaître en public avec son épouse. Autre surprise : il est habillé en civil et non en uniforme militaire comme d’ordinaire.
Fêter le bicentenaire de la Révolution française
Claude Blanchemaison raconte : «Dans le salon d’attente, le général engage la conversation dans un français parfait… Il parle de Paris qu’il ne connaît qu’à travers ses lectures et quelques films. Il évoque les auteurs classiques : Victor Hugo, mais aussi Alexandre Dumas, Émile Zola et Anatole France. Manifestement, il n’a pas envie de parler de la guerre.
… Il insiste sur le fait qu’il avait tenu à se rendre pour la première fois de sa vie à l’ambassade de France, parce qu’il s’agissait du 200e anniversaire de le Révolution française et que celle-ci avait été toujours une source d’inspiration pour lui. Son instituteur et ses professeurs à Huê et à Hanoi lui avaient raconté la prise de la Bastille. Et soudain, au moment où retentit La Marseillaise, il me dit qu’il aimait bien ce chant révolutionnaire. Il me parle des cours d’histoire qu’il a donnés dans sa jeunesse et de l’intérêt qu’il portait aux campagnes napoléoniennes, mais aussi aux ouvrages de Clausewitz».
La cérémonie commence. «Nous nous immobilisons à l’emplacement prévu pour écouter les deux hymnes nationaux… Ai-je rêvé ? Non, je vois mon voisin remuer les lèvres et je l’entendais fredonner le refrain de la Marseillaise».
La photo du général Giap, stratège militaire appelé par la presse occidentale «le volcan sous la neige», prise en 1989, parue dans La Marseillaise du général Giap. |
Après le discours de l’ambassadeur, Vo Nguyên Giap prend la parole. Il se lance avec son français toujours impeccable dans un vibrant plaidoyer sur la nécessaire coopération franco-vietnamienne, bien sûr dans le domaine culturel, cela va de soi, mais aussi sur les questions scientifiques qui commandent l’avenir du pays. Il suggère que le volet enseignement supérieur soit particulièrement développé. Il en appelle surtout à la coopération économique dans un monde qu’il qualifie de très concurrentiel. De nouveaux partenaires commencent à se montrer actifs au Vietnam comme le Japon, l’Australie par exemple, dit-il. L’Europe de l’Ouest ne doit pas attendre que les Américains lèvent un embargo anachronique. La France doit montrer le chemin et il conclut son intervention par un néologisme étonnant : «Hâtez-vous vivement !».
D’après Blanchemaison, «le faiseur d’histoire, le vainqueur des guerres d’indépendance, a célébré à sa manière le bicentenaire de la Révolution française. Sans avoir clairement conscience de l’imminence de l’implosion du bloc soviétique, Giap a pris le pari que le Vietnam pourrait jouer son ouverture au monde à travers la France.
La petite graine semée dans les écoles de Huê et de Hanoi avait germé. Soucieux de former à sa manière les jeunes cerveaux qui leur étaient confiés, ces instituteurs et ces professeurs débarqués de la métropole avaient su faire vibrer leurs élèves aux pages les plus éclatantes de l’histoire de la France. Mais une fois de plus, l’implacable dialectique du maître colonisé s’était développée : la création du Viêt Minh, les interminables combats, Diên Biên Phu, les Accords de Genève et beaucoup plus tard, le 14 juillet 1989, le redoutable général Giap rejoignant ceux qui chantent La Marseillaise sur la pelouse de l’ambassade de France à Hanoi».
Tournant décisif dans les relations bilatérales
La mission réconciliatrice de Claude Blanchemaison a sans doute contribué à un tournant décisif dans les relations franco-vietnamiennes avec la visite du Président français François Mitterrand au Vietnam en 1993. Selon Raymond Aubrac, figure emblématique de la Résistance et ami de Hô Chi Minh, «cette visite changerait la donne». Il a dit au président qu’il était de notre responsabilité de stabiliser cette région d’Asie et d’aider à son insertion sur la scène internationale. L’idée était bien de dépasser le ressentiment, de jouer la Francophonie, de doubler le programme d’aide, de mettre en place une coopération moderne et dynamique.
Au Vietnam, le président Mitterrand «tenait à se rendre à Diên Biên Phu, pour voir le site de la fameuse bataille et pour s’y recueillir. Sans doute aussi pour tourner cette page douloureuse des relations entre les deux pays».
Note du Courrier du Vietnam :
À la page 88 de l’ouvrage La Marseillaise du Général Giap, l’auteur a écrit : «Huu Ngoc, que j’ai plus tard décoré des Palmes académiques, alors président de l’Association des écrivains». Notre chroniqueur Huu Ngoc a reçu effectivement les Palmes académiques mais il n’était pas président de l’Association des écrivains du Vietnam. Il était directeur des Éditions en langues étrangères du Vietnam et de la revue Études vietnamiennes (Vietnamese Studies en anglais) qui fêta son cinquantenaire l’année dernière. Auteur francophone, il a aussi reçu Le Mot d’Or 2003 de la presse francophone, le Prix GADIF 2008 attribué par le Groupe des ambassadeurs et des institutions francophones du Vietnam.
Huu Ngoc/CVN