La Marseillaise du général Giap

Revenant à Hanoi pour le Têt du Cheval 2014, mon ami A.K a eu la gentillesse de me rapporter de Paris un témoignage historique fort intéressant : La Marseillaise du général Giap de Claude Blanchemaison (Éditions Michel de Maule), sortie le 10 octobre 2013.

Claude Blanchemaison, ce nom me fait revivre toute une époque. Il y a de cela presque un quart de siècle : fin des années 80, début des années 90 du siècle dernier. Claude Blanchemaison occupait son premier poste d’ambassadeur au Vietnam de 1989 à 1993.

Le diplomate français Claude Blanchemaison, actuellement 70 ans, a été ambassadeur de France au Vietnam entre 1989 et 1993. 

Je me souviens, il était diplomate jusqu’au bout des ongles. Toujours correct et sérieux, plein de prévenance mais aussi ouvert, familier, ne manquant pas d’humour. Sa grande qualité, c’est de savoir écouter. Je me rappelle les tables rondes très sympa qu’il organisait à l’ambassade de Hanoi. Il réunissait une quinzaine d’intellectuels vietnamiens francophones, écrivains, artistes, scientifiques, journalistes, économistes…

On pouvait y proposer n’importe quel sujet. Les discussions parfois très vives se terminaient au buffet garni de spécialités françaises délicieuses. L’ambassadeur m’a décoré en 1992 des Palmes académiques, une des premières distinctions françaises remises aux citoyens du Vietnam indépendant depuis la coupure de 1945.

Mission de rapprocher la France et le Vietnam

Lorsque Claude Blanchemaison quittait Paris pour Hanoi en 1989, il ne reçoit du Quai d’Orsay qu’une instruction générale : «créer des conditions d’un rapprochement entre la France en le Vietnam». «Je m’interrogeais sur la meilleure manière d’y parvenir. Ce n’était pas facile», se dit-il.

Rappelons les faits. Dix-neuf ans après la victoire de Diên Biên Phu, les relations diplomatiques entre la France et le Vietnam ont été établies en 1973. Mais mises en veilleuse comme pour le cas des autres pays occidentaux, elles n’ont connu un véritable essor qu’après 1993, avec la visite du Président français Mitterrand. Blanchemaison avait un rôle à jouer dans cette évolution. À Hanoi, il bénéficie d’une circonstance énormément favorable : trois ans auparavant, pour sortir de la longue crise économique de l’après-guerre et de l’isolement international, le gouvernement vietnamien avait adopté le Dôi moi (Renouveau), politique marqué par l’économie de marché et l’ouverture à tous les pays du monde.

La couverture du livre de mémoires La Marseillaise du général Giap qu’a présenté Claude Blanchemaison au public français le 10 octobre 2013.

D’après Blanchemaison, dans les années 1989-1991, les circonstances étaient à tous égards exceptionnelles «C’était l’époque où le Vietnam entreprenait de se réformer, de s’ouvrir aux investissements étrangers et de diversifier ses relations extérieures. Beaucoup de vieux révolutionnaires francophones étaient encore au pouvoir ou proches du pouvoir et, parmi eux, Vo Nguyên Giap. Une majorité pensait alors que la France, au cœur de l’Europe des Douze, pouvait jouer un rôle actif dans la modernisation de l’économie et dans la réinsertion du pays sur la scène internationale».

L’auteur ajoute : «Nationalisme ombrageux et volonté d’ouverture, ces deux traits caractérisent bien les dirigeants vietnamiens de l’époque».

Blanchemaison ne cache pas sa grande admiration pour le général Vo Nguyên Giap qu’il a rencontré une quinzaine de fois au cours de sa mission au Vietnam.

Le général Giap aux yeux de Blanchemaison

Blanchemaison voit en Giap «un personnage hors du commun, un personnage historique qui avait réussi le triple exploit de harceler l’occupant japonais, de battre la puissance coloniale française, puis de chasser les Américains».

Dès la première rencontre, le général Giap a exprimé au diplomate son attachement à la culture française, sa fidélité à l’idéal Révolutionnaire de 1789, son désir de promouvoir la francophonie et surtout la coopération économique et culturelle entre le Vietnam et la France.

Blanchemaison témoigne : «Le général Giap a toujours accepté de recevoir les visiteurs français qui demandaient à le voir : ministres, hommes d’affaires, écrivains… Il se montrait enjoué, ouvert, parfois espiègle, en tout cas curieux de tout. Il n’était cependant pas tout à fait dupe de la curiosité qu’il suscitait. Je l’ai entendu faire, devant un secrétaire d’État en retraite, l’éloge de la petite et moyenne entreprise, et de ce fait le bien qu’il pensait d’un ouvrage français qu’il avait découvert sur le marketing. Soudain, il se rapproche de ses interlocuteurs perplexes et leur dit sans rire pour mettre un terme à l’entretien : «Small is beautiful, n’est-ce pas, Monsieur le Ministre ?»

Giap est un partisan résolu de l’ouverture. «Son attitude allait permettre de lever l’interdit portant sur certains thèmes de coopération avec la France, et par conséquent avec les pays occidentaux en général. Avant la chute du mur de Berlin et la dislocation du bloc communiste, le Vietnam n’avait entretenu des relations diplomatiques qu’avec quelques pays de l’Occident».

Claude Blanchemaison nous confie : «Le présent ouvrage est un témoignage qui fait état de l’expérience vécue pendant les quatre années de ma mission à Hanoi, des apparitions du général Giap et de son rôle même modeste pour rendre possible un certain nombre de réalisations concrètes, telles que l’ouverture du premier centre culturel occidental à Hanoï, le tournage d’un film sur Diên Biên Phu ou l’ouverte du premier institut de gestion des entreprises dans le contexte d’une économie de marché – trois réalisations françaises bien sûr. Le moment clé de cette évolution fut probablement le 14 juillet 1989 mais nous n’en avions pas conscience à l’époque».

 

Huu Ngoc/CVN

(À suivre)

 

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