>>Irak : nouveaux tirs à Bagdad malgré le couvre-feu au 3e jour de manifestations
>>Contestation en Irak : neuf morts en 24 heures
Un homme marche près de barricades érigées par des manifestants à Bagdad le 3 octobre où se déroulent des rassemblements contre la corruption et le chômage. |
Parti de Bagdad, le mouvement réclamant des emplois pour la jeunesse et le départ des dirigeants "corrompus" a désormais gagné la quasi-totalité du Sud du pays et franchi un nouveau palier dans la violence, avec des dizaines de blessés par balles dans diverses villes du pays, dont la capitale, deuxième plus peuplée du monde arabe.
Si la contestation est le premier test populaire pour le gouvernement d'Adel Abdel Mahdi, qui doit souffler sa première bougie à la fin du mois, la journée de vendredi 4 octobre sera un important test politique pour le chef du gouvernement, avec le sermon du grand ayatollah Ali Sistani.
Plus haute autorité religieuse pour la grande majorité des chiites d'Irak, il passe pour avoir son mot à dire, notamment pour nommer et démettre les Premiers ministres. Son prêche pourrait éventuellement donner un signal aux manifestants sur la suite du mouvement.
M. Abdel Mahdi ne s'était exprimé jusqu'ici que par communiqué, saluant "la retenue des forces armées" et annonçant le couvre-feu à Bagdad, tandis que son bureau affirmait avoir rencontré des "représentants des manifestants".
M. Abdel Mahdi est sorti de son silence dans la nuit de jeudi 3 à vendredi 4 octobre pour défendre le bilan de son gouvernement et sa gestion de la crise qui menace "de détruire l'État tout entier".
Il ne s'est pas adressé aux manifestants dans son discours télévisé mais a promis "des pensions aux familles sans revenus" tout en réclamant plus de temps pour mettre en place les réformes qu'il a promises à son arrivée au pouvoir.
Au moment où la télévision d'État diffusait son allocution, des tirs pouvaient être entendus dans l'ensemble du centre de Bagdad.
Les autorités, qui dénoncent des "saboteurs" et proposent aux protestataires d'appeler un numéro vert pour faire part de leurs revendications, semblent avoir choisi la fermeté, une décision critiquée jeudi par Amnesty International.
L'organisation a exhorté Bagdad à "ordonner immédiatement aux forces de sécurité de cesser d'utiliser une force, notamment létale, excessive" et à rétablir la connexion, internet étant toujours coupé dans une grande partie du pays et les réseaux sociaux inaccessibles.
Dans la soirée, les affrontements se sont poursuivis dans plusieurs villes du Sud de l'Irak, ainsi qu'à Bagdad où les blindés des forces spéciales sont entrés en action pour repousser la foule, les forces de l'ordre tirant sur le sol des balles qui ricochaient sur les manifestants, aussitôt transportés à bord de touk-touk par des camarades, a constaté un photographe de l'AFP.
Cela n'a pas entamé la détermination d'Ali, diplômé chômeur de 22 ans qui prévient : "On continuera jusqu'à la chute du régime". "Je veux travailler, je veux pouvoir me marier, je n'ai en poche que 250 dinars", soit moins de 20 centimes d'euros, a-t-il lancé. Alors, a-t-il dit, que "les dirigeants brassent des millions" dans le douzième pays le plus corrompu au monde, selon Transparency International.
Abou Jaafar, retraité aux cheveux blancs, observait, lui, les affrontements, affirmant être venu "en soutien aux jeunes". "Pourquoi les policiers tirent-ils sur des Irakiens comme eux? Eux aussi souffrent comme nous, ils devraient nous aider et nous protéger", s'emporte-t-il.
Fait inédit en Irak, le mouvement est né sur les réseaux sociaux d'appels qu'aucun parti politique ou leader religieux n'a revendiqués.
Endeuillée par 31 morts -29 manifestants et deux policiers-, la contestation a tourné jeudi à la bataille rangée à Bagdad sur des axes menant à la place Tahrir, rendez-vous emblématique des contestataires.
Manifestants d'un côté et policiers antiémeutes et militaires de l'autre se repoussaient par vagues dans la cité de neuf millions d'habitants, placée sous couvre-feu et où les fonctionnaires -la majorité des travailleurs du pays- ont été appelés à rester chez eux, a constaté un photographe de l'AFP.
Carte de Bagdad localisant les quartiers où de nouvelles manifestations contre la corruption et le chômage ont été dispersées mercredi 2 octobre. |
Photo : AFP/VNA/CVN |
Pour faire reculer plusieurs milliers de protestataires arrivés à bord de camions en brandissant des drapeaux, les forces de sécurité tiraient à balles réelles, à bord de blindés.
Sur la place al-Tayyaran, dans le centre de Bagdad, les manifestants s'en sont pris à ces véhicules, en incendiant deux, a rapporté un photographe de l'AFP.
Récupération politique ?
Si les manifestants disent redouter la répression, ils dénoncent un ennemi plus dangereux : la récupération politique.
Ils assurent ne pas avoir de leader et uniquement réclamer des services publics fonctionnels après des décennies de pénurie d'électricité et d'eau potable, des emplois pour les 25% de jeunes au chômage, et la fin de la corruption qui a englouti en 16 ans plus de 410 milliards d'euros.
Mais un appel du très versatile leader chiite Moqtada Sadr -qui a rejoint la coalition gouvernementale mais menace régulièrement de la faire éclater- pourrait changer la donne.
Il a demandé mercredi soir 2 octobre à ses très nombreux partisans, qui avaient déjà paralysé le pays en 2016 avec des manifestations à Bagdad, d'organiser des "sit-ins pacifiques". S'ils le font effectivement et décident de passer la nuit sur les places de Bagdad et du sud irakien, le bras de fer va se durcir.
Tandis que Bagdad s'embrase et que manifestations et violences touchent les provinces de Najaf, Missane, Zi Qar, Wassit, Diwaniya, Babylone et jusqu'à Bassora, le calme prévaut au nord et à l'ouest de Bagdad, régions principalement sunnites et ravagées par la guerre contre l'EI, ainsi qu'au Kurdistan autonome.
Bagdad cristallise les violences car les protestataires cherchent à prendre la place Tahrir, séparée de l'ultrasensible Zone verte -où siègent les principales institutions du pays et l'ambassade américaine,- uniquement par un pont, le pont al-Joumhouriya, bouclé par les forces de l'ordre.