>>Les seniors, toujours parias du marché du travail
La musicologue d’origine roumaine Bissy Roman, résidente de la Casa Verdi à Milan. Photo: AFP/VNA/CVN |
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Le son d’un piano s’échappe dans les couloirs, tandis qu’une chanteuse fait revivre des airs anciens dans la salle principale, entourée de dizaines de pensionnaires. Dans l’élégante Casa Verdi, la musique est à chaque étage.
"Ici, c’est le paradis. Pour moi, la musique est tout, et je ne m’attendais pas à trouver un endroit aussi formidable, confie Marisa Terzi, 79 ans, arrivée il y a quatre mois. C’est tout sauf une maison de repos! C’est une maison de villégiature! Le temps vole... Le matin, il y a un pianiste, et tout le monde, y compris ceux en fauteuil roulant, vient écouter. Nous chantons tous ensemble, c’est très beau, et puis il y a des concerts tous les après-midis".
Marisa, à la longue carrière de chanteuse et de compositrice, est arrivée à la Casa Verdi alors qu’elle n’avait "plus de famille". "Je suis hanceuse car je m’y sens vraiment chez moi".
"Vrai miracle"
Bissy Roman, 94 ans, partage aussi cette reconnaissance. "À un moment, j’ai eu le sentiment d’être seule au monde, je n’avais plus personne, et la Casa Verdi s’est présentée comme la dernière solution: mourir avec la musique dans le cœur et mes compagnons musiciens", souligne cette musicologue d’origine roumaine qui a vécu en Russie, aux États-Unis et en France.
Déjà très âgé, Giuseppe Verdi décide à la fin du XIXe siècle de créer cette "maison de repos", dans ce qui est alors encore la campagne milanaise, dans le Nord de l’Italie. Objectif: permettre aux musiciens indigents de finir leur vie décemment. Le bâtiment de style néo-classique est dessiné par l’architecte Camillo Boito, frère d’un de ses principaux librettistes.
Mais, la Casa Verdi n’ouvrira qu’en 1902, après la mort du musicien à 87 ans, ce dernier refusant qu’on puisse le remercier. Et, 117 ans plus tard, elle fonctionne comme au premier jour, sans dette ni soutien public, un "vrai miracle", selon son président Roberto Ruozi.
Les pensionnaires versent une contribution mensuelle, calculée en fonction de leurs revenus, mais qui représente moins d’un cinquième du coût réel de leur séjour, "grâce à l’argent généré par le patrimoine que nous possédons", explique M. Ruozi. "Verdi a laissé à la Casa Verdi tous ses droits d’auteur, ce qui, pendant 60 ans, a représenté des sommes non négligeables, qui ont été en partie investies" dans 120 appartements, aujourd’hui loués, rappelle-t-il.
La Casa Verdi, "maison de repos pour musiciens", et une statue de son illustre fondateur. |
La Casa Verdi a aussi bénéficié de donations, comme celle de 6 millions d’euros faite par la fille du chef d’orchestre Arturo Toscanini, qui génère elle aussi des revenus grâce aux placements effectués.
"On est logés, nourris, il y a une assistance médicale. On s’occupe de nous merveilleusement et il y a tout: des salles pour travailler le piano, la salle de concert....", souligne Raimondo Campisi, un pianiste de 71 ans arrivé il y a quatre ans à la Casa Verdi, après avoir vécu pendant 20 ans sur un bateau à Beaulieu-sur-Mer, dans le Sud de la France, et fait des tournées dans le monde entier.
L’institution héberge aussi une quinzaine d’étudiants du conservatoire ou de l’Académie de la Scala, le célèbre opéra milanais. Une initiative lancée en 1999 afin de permettre un échange entre générations.
Transmission
À l’image des autres étudiants, venus d’Italie, du Japon ou de République de Corée, Marika Spadafino, une soprano de 30 ans, apprécie ce mélange. "Je parle beaucoup avec les pensionnaires, ils m’écoutent chanter, me donnent des conseils. Ils savent transmettre leur expérience. Pour moi qui viens d’une famille où personne n’est musicien, c’est très important. Et, quand les choses ne se passent pas bien, ils savent te consoler et te donner la force pour continuer", assure la jeune femme originaire des Pouilles (Sud de l’Italie).
Bien sûr, les affres de la vieillesse peuvent parfois rendre le quotidien difficile. Bissy, la musicologue nonagénaire, souffre de ne plus être aussi libre qu’avant, elle qui a tant voyagé et chéri sa liberté.
Mais, "c’est la seule chose qui ne me plaît pas". Car "ici, on est vraiment très bien. Je suis très occupée. J’enseigne la musique, le chant, l’opéra et aussi un peu les langues", dit-elle qui en parle sept, avant de pousser la chansonnette avec Raimondo Campisi.
Quand on l’interroge sur d’éventuelles tensions, alors que les musiciens sont réputés pour leur fort caractère, l’élégant pianiste pouffe: "Vous mettez ensemble 60 artistes... Oh là là, vous pouvez imaginer!"
La maison a une liste d’attente d’une dizaine de personnes, qui attendent qu’un musicien s’éteigne pour prendre sa place.
"J’espère y être encore un peu, souligne Marisa Terzi, qui savoure chaque journée passée ici. Mais, nous savons que nous mourrons tous ici, alors nous sommes prêts".
AFP/VNA/CVN