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Un navire en cale sèche, dans la forme 10 à Marseille le 10 février 2015. |
Photo: AFP/VNA/CVN |
"Avant, on avait juste la vue sur la mer, maintenant on ne respire plus", déplore Michèle Rauzier, dans sa maison de Saint-Henri, au nord de Marseille.
En contrebas de son jardin, d'où elle accédait directement à la plage quand elle était enfant, surgit un paquebot haut comme un immeuble, couronné d'une épaisse fumée noire: un bateau de croisière en carénage dans la forme 10, la plus grande cale sèche de Méditerranée inaugurée il y a 18 mois. Même en réparation, les moteurs des bateaux continuent de tourner pour produire de l'électricité.
"Quatre ferries au fioul lourd qui tournent, c'est une usine à cancers!", s'étrangle Samia Ghali, sénatrice PS des quartiers Nord, où l'activité du Grand port maritime de Marseille (GPMM) se déploie jusqu’à Fos-sur-Mer. Comme elle, de nombreux élus marseillais, dont le député LFI Jean-Luc Mélenchon, EELV ou Greenpeace ont alerté sur la question depuis plusieurs mois.
C'est lorsqu'ils sont à quai, au plus près des riverains, que les navires émettent le plus de particules fines (55% de leurs émissions), avec une incidence sur la santé, selon l'organisme de surveillance de l'air AtmoSud, et ce sans aucune réglementation.
Comme les voitures, ils émettent aussi des NOx (dioxydes d'azote), dus à la combustion des hydrocarbures, en quantité telle qu'en 2018, pour la première fois dans la métropole marseillaise, les émissions de NOx d'origine maritime ont dépassé les émissions routières, souligne le directeur d'AtmoSud Dominique Robin.
Enfin, les navires émettent du soufre, dont les émissions, contrairement à celles de particules fines ou de NOx, sont réglementées: en mer, ceux qui ne transportent pas de passagers peuvent utiliser un fioul lourd, avec une teneur en soufre allant jusqu'à 3,5%, contre 0,001% pour le diesel automobile. Lorsqu'ils restent plus de deux heures à quai, tous doivent changer de carburant et passer au "diesel marin" à 0,1%.
"Rétablir le dialogue"
Les riverains s'alarment de l'addition de ces différentes pollutions et de l'expansion de l'activité portuaire. Pour Samia Ghali, la responsabilité du GPMM est engagée: il "saucissonne les appels à projets pour diluer l'impact environnemental, mais si on additionne tout, c'est dramatique!".
Dans un rapport remis à l'été 2018 à Nicolas Hulot, alors ministre de la Transition écologique, que l'AFP a pu consulter, des experts soulevaient les mêmes critiques: "Plutôt que des évaluations au coup par coup, une étude de l'impact sanitaire globale devrait porter donc sur l'ensemble des pollutions et nuisances". Le rapport égratignait aussi la charte ville-port signée en 2013, accusée notamment de ne pas avoir associé les riverains.
Cette dernière question est justement dans le viseur du député LREM de Marseille Saïd Ahamada, rapporteur spécial aux affaires maritimes à l'assemblée: il y porte un amendement à la loi LOM (loi d'orientation des mobilités) pour permettre une concertation des ports avec les riverains "sous l'égide des préfets, à échéance régulière, comme c'est le cas pour les aéroports".
La nécessité d'une concertation accrue est reconnue par le tout nouveau directeur du GPMM, Hervé Martel, qui veut "rétablir le dialogue" avec les riverains. Le directeur de l'aménagement, Renaud Paubelle, met quant à lui en avant les efforts du GPMM qui attribue une baisse des droits de port aux navires les moins polluants et qui a été le premier en France à avoir mis en place un service d'alimentation électrique à quai pour des navires de commerce.
Pourtant, dans la restructuration en cours du terminal de passagers du Cap Janet, aucune prise électrique n'est prévue. "On se donnera les moyens quand quelqu'un voudra se brancher", répond M. Paubelle, qui reconnaît une limite à l'électrique: "Il n'y a pas de branchement possible des paquebots de croisière, dont la demande de puissance est 10 fois supérieure à celle d'un ferry". Or le GPMM, premier port de croisière français, vise les 2 millions de passagers en 2020.
M. Paubelle se veut toutefois optimiste et rappelle qu' à partir de janvier 2020, les émissions de soufre seront plafonnées à 0,5% en mer par l'Organisation maritime internationale (IMO). "Les armateurs se préparent", assure-t-il. Mais le carburant moins polluant est aussi plus cher, ce qui pousse certains à préférer s'équiper de filtres ou scrubbers.
Inégalité Nord/Sud
Une solution qui fait bondir Élisabeth Pelliccio, présidente du Comité d'intérêt de quartier (CIQ) de Saint-André: "Les scrubbers n'arrêtent pas les particules ultra-fines! Et que fait-on des boues que produisent ces scrubbers?".
De plus, souligne-t-elle, même quand la réglementation abaissera la teneur en soufre autorisée pour les bateaux, leur carburant restera en Méditerranée cinq fois plus polluant qu'en Manche ou en mer du Nord - des zones ECA (Emission control area) où le seuil est fixé à 0,1% depuis le 1er janvier 2015. "Les bateaux les plus polluants qui ne sont plus acceptés au Nord se retournent vers la Méditerranée", se désole Mme Pelliccio.
"Tous les Français ne sont pas à la même enseigne, selon qu'ils vivent au Havre ou à Marseille", résume Saïd Ahamada: aux côtés des écologistes, le député milite pour la création d'une zone ECA en Méditerranée, une tâche difficile "car on doit discuter avec des pays non-européens".
En attendant, les anciennes maisons de pêcheurs des quartiers de l'Estaque, Saint-Henri ou Saint-André, chers au cinéaste Robert Guédiguian, ont perdu leur attrait. "Ici il y a bien trop de cancers, de morts prématurées", assure Mme Rauzier.
L'Agence régionale de santé reconnaît "un environnement qui favorise les risques sanitaires" dans ces quartiers. "On ne laissera rien passer de plus, on ne peut pas mettre en balance la santé des gens et l'activité économique!", prévient Élisabeth Pellicio.
AFP/VNA/CVN