>>Hô Chi Minh vu par un intellectuel catholique
Le Professeur Ly Chanh Trung. |
Ly Chanh Trung, né en 1928 à Trà Vinh, a embrassé la religion catholique vers 1949. Après ses études universitaires (psychologie, sciences politiques), il a travaillé au ministère de l’Éducation de la République du Vietnam (Sud Vietnam pro-américain). Patriote sans parti, il a fait preuve d’une grande indépendance d’esprit. Après la réunification nationale en 1975, il a été élu membre du présidium du Front de la Patrie et a siégé plusieurs fois à l’Assemblée nationale.
Professeur de philosophie, Trung voit la politique à travers le prisme philosophique, comme en témoignent ses œuvres en vietnamien : Révolution et morale (1966), Retour à la nation (1967), Connaissance des États-Unis (1969), Religion et nation (1973). Nous traduisons ci-dessous un extrait de l’article écrit par Ly Chanh Trung sur Hô Chi Minh en vietnamien, en 1969 (Source : Éditions de la Police populaire, en 2005).
Le Vietnamien s’est réveillé d’un long sommeil
Hô a apporté la rénovation. Après la Révolution d’Août 1945, les Français ont occupé Trà Vinh au bout de trois mois de combat. Pour nous, trois mois merveilleux, pleinement vécus. Tout le monde a changé du jour au lendemain, du tout au tout: appellation, comportement, manière de vivre, conscience. On se considérait comme membres de la même famille, on se parlait en parents et enfants, oncle et neveu, tante et nièce, frère et sœur. Les termes «Monsieur le mandarin», «Monsieur le directeur», etc., ont disparu comme par magie.
Nguyên Ai Quôc (1er plan, à gauche) et des délégués au Ve Congrès de l’Internationale communiste (appelée aussi Ve Congrès du Komintern) à Moscou, en 1924. |
La province est devenue une grande famille. Les mandarins se sont retirés, les riches ne faisaient plus bombance, les pauvres continuaient leur labeur, mais n’étaient plus méprisés. Les cadres étaient peu nombreux et les affaires publiques multiples, mais les volontaires ne manquaient pas même parmi les riches, on faisait ce qu’on pouvait. Les initiatives pleuvaient, les efforts visaient à préparer la résistance contre l’offensive française.
Les Vietnamiens se sont réveillés d’un long sommeil, ouvrant largement les yeux pour se voir et voir l’avenir, un avenir certainement orageux, mais ô combien prometteur. Tout baignait dans la pureté des premiers jours du monde, le charme du premier amour. J’ai appris plus tard qu’il y avait des conflits de pouvoir à Hanoi, Saigon et d’autres endroits.
Mais cela n’a pas eu lieu dans ma province. Qu’il ait existé ou non des conflits latents, personne ne le savait. Ceci m’a permis de participer aux journées de fêtes de notre peuple, de jouir des grands meetings avec démonstrations, de suivre les pas des partisans qui s’entraînaient, d’écouter le chant En route pour le front dès l’aube, d’œuvrer tard la nuit pour faire les travaux que les grandes personnes nous demandaient. Nous avions le sentiment que nous étions et que ce pays était le nôtre. Nous sentions pleinement l’enthousiasme du début de la Résistance anti-française.Il est évident que tout n’était pas si beau, mais pour moi, ce sont les plus beaux moments de ma vie, ils sont inoubliables. Peut-être ce que je fais, pense et écris prend source dans ces jours.
Entre 1921 et 1923, Nguyên Ai Quôc a vécu au 3e étage de la maison au 9, rue Compoint à Paris.6 |
Photo : CTV/CVN |
Hô Chi Minh et le Parti communiste
Et ces jours se sont déroulés devant le portrait de Hô portant l’inscription : «Hô Chi Minh, Héros national». La première fois que j’ai entendu parler de la nation dans le réel, c’était devant le portrait de Hô et non de quelqu’un d’autre. C’est une décision de l’histoire, parce qu’à ce moment, il ne pouvait s’agir d’un autre personnage. Je n’oublierai jamais son image avec son vaste front, ses yeux brillants, le creux de ses joues, sa barbiche clairsemée, son costume kaki déteint, et ses vieilles sandales. Un célèbre prêtre expatrié m’a dit une fois : «Si Hô Chi Minh n’était pas communiste, ce serait parfait car il mérite plus que n’importe qui d’être le dirigeant de notre pays».
Si Hô Chi Minh n’avait pas été communiste ! Que de choses n’auraient-elles pu être imaginées avec cette supposition. Une question se pose : pourquoi Hô Chi Minh s’est-il fait communiste? Personne n’est communiste dès sa naissance, et quand le jeune Nguyên Tât Thành, au début de ce siècle, avait obtenu un travail sur le paquebot Latouche-Tréville pour aller à l’étranger, il n’avait eu nullement l’intention d’adhérer à la Troisième Internationale et de devenir Hô Chi Minh.
Dans un article de 1968, le Père Truong Ba Cân a donné une réponse très claire à la question sus-posée : «Nguyên Ai Quôc était parti pour chercher une solution au problème national, il n’existait pas d’autre solution que la Troisième Internationale. Nous savons que notre confiance, que Phan Bôi Châu et ses camarades avaient placée en la Chine et le Japon, avait été trahie. En Europe, aucun pays, aucun parti ne promouvait la lutte anticoloniale sauf l’URSS et la Troisième Internationale. Point n’est étonnant qu’au congrès du Parti communiste français en 1920, Nguyên Ai Quôc ait voté pour l’adhésion du Parti socialiste français à la Troisième Internationale. Nguyên Ai Quôc a opté pour le marxisme-léninisme parce qu’il n’y avait pas d’autre choix».
Recherche de la voie du Salut national
Les années de jeunesse du Président Hô Chi Minh en Chine ont été racontées dans le film Nguyên Ai Quôc à Hongkong, co-produit par le studio Hodafilm de l’Association des écrivains vietnamiens et le studio chinois Zhoujiang, sorti en 2003. |
C’est Hô Chi Minh lui-même qui a expliqué pourquoi Nguyên Ai Quôc était devenu Hô Chi Minh dans un article de 1960 de l’Écho du Vietnam. Il a raconté qu’après la Première Guerre mondiale, il travaillait pour une boutique d’antiquités, à Paris. Il distribuait des tracts dénonçant les crimes de l’administration coloniale. Il sympathisait avec la Révolution d’Octobre russe de manière instinctive. Il aimait et respectait Lénine car ce dernier était un patriote qui avait libéré son pays. Jusqu’alors, il n’avait lu aucun ouvrage de Lénine. Il a adhéré au Parti socialiste français parce que les «messieurs et dames» de ce Parti sympathisaient avec la lutte des peuples opprimés.
Il n’avait aucune notion concernant les partis, les syndicats, le socialisme, le communisme. On discutait alors vivement dans les sections du Parti socialiste pour savoir s’il fallait garder la Deuxième Internationale ou créer une Internationale à mi-chemin entre la IIe et la IIIe, ou adhérer à la IIIe de Lénine. Il participait à ces réunions, deux ou trois fois par semaine. Il écoutait attentivement toutes les interventions. D’abord, il ne comprenait pas leur contenu, il ne comprenait pas le pourquoi de si violentes discussions. La question brûlante qui l’intéressait n’était pas sur le tapis : quelle Internationale appuyait la lutte des peuples opprimés ? Au cours d’une réunion, il a posé cette question de première importance pour lui. Quelques camarades ont répondu : c’est la Troisième et non la Deuxième Internationale.
Devenir communiste en France
Nguyên Ai Quôc est devenu communiste car à cette époque de l’Âge d’or du colonialisme, quand les puissances occidentales pouvaient se permettre ouvertement de conquérir d’autres pays par les armes, et de se partager le monde comme elles voulaient, seules l’Union soviétique et la Troisième Internationale préconisaient la libération des peuples opprimés comme étape nécessaire pour la libération de l’homme en général.
Ce programme est-il sincère, c’est un autre problème : ce qui est patent, c’est qu’à cette époque, seules l’URSS et la Troisième Internationale ont dénoncé les crimes coloniales et Nguyên Ai Quôc a opté pour elles. La pilule amère pour moi, c’est que Nguyên Ai Quôc est devenu communiste non en URSS mais en France, «l’aînée de l’Église catholique», mon église. Et mon église est aussi une internationale dix fois plus puissante que l’Internationale récente de Lénine. Elle a aussi la mission d’émanciper pleinement l’homme par l’ensemencement de l’amour de Dieu, pour bâtir le sentiment d’humanité.
De son vivant, le Président Hô Chi Minh accordait une grande attention aux soins des enfants. |
J’imagine souvent comment était la vie solitaire, instable, dure d’un jeune Vietnamien tel que Nguyên Ai Quôc à Paris, une vie que j’ai plus ou moins vécue, bien que dans de meilleures conditions. Et je me demande souvent pourquoi aucun catholique n’était venu contacter ce frère inconnu et solitaire, en dehors des marxistes ? Mais qu’est-ce qu’un catholique français aurait-il pu dire à un jeune patriote en quête d’un moyen pour chasser les colons français, quand l’Église avait ouvertement béni le régime colonial ?
L’amertume, c’est qu’alors mon église ne pouvait rien dire à Nguyên Ai Quôc, à d’autres futurs leaders de l’Asie, comme Zhou Enlai et Nehru en train de chercher une voie à l’ombre du clocher de l’Église. L’Église n’avait rien à dire aux peuples opprimés et assoiffés de liberté, et aux hommes exploités qui exigeaient la justice, car mon Église était alors celle des pays nantis et des riches. Pendant des siècles, le Christ avait été crucifié dans les régions habitées par les peuples rouges, noirs et jaunes, là où les couches paysannes et ouvrières vivaient dans la misère, eux qui étaient aussi les Christs sur la croix, mais au pied de la croix, l’Église n’était pas présente, ou pour dire plus exactement, l’Église avait béni les gardes au pied de la croix.
L’Église était absente à l’heure de l’émancipation des pauvres car elle était devenue l’otage des riches. Je ne regrette pas, ni ne reproche Hô d’avoir choisi la voie communiste. Je l’admire plutôt pour sa fidélité absolue à son choix. Suivant son exemple, je me promets de suivre jusqu’au bout ma voie, celle que j’ai choisie en toute conscience, comme Hô l’a fait il y a cinquante ans.
Note : Intertitres ajoutés par la rédaction pour faciliter la lecture.