>>Dans la vieille ville de Hôi An, la pluie du matin réjouit le pèlerin
Le parapluie est l’un des objets du quotidien qui inspirent les poètes. |
Photo: CTV/CVN |
Au moment crépusculaire de notre littérature classique en idéogrammes chinois hán et vietnamiens nôm, le bachelier Tú Xuong (1870-1907) s’est imposé comme poète satirique sans égal, critique impitoyable des mandarins qui exploitaient le peuple, de tous les profiteurs de l’occupation française: serviteurs, spéculateurs, prostituées...
Un soir de printemps, rentrant assez tard, le poète fit un bout de chemin avec une passante qui ne manquait pas de charme. Il crachinait. Tú Xuong enleva sa veste de coton ouatée pour couvrir la tête de la belle pendant la marche. La séparation lui a laissé un tendre arôme de regret:
"T’en souviens-tu, te souviens-tu de moi
D’un soir de pluie, de la veste de coton au-dessus de ta tête
À l’aube, on s’est séparé en inconnus
De qui la veste humide, de qui le turban sec?
L’un s’en est allé vers les Trois Pics et les Cinq Lacs
L’autre est rentrée chez elle pour pleurer les bambous ivoire et les platanes
Monts et eaux, de mélancolie voilée
J’en ai le cœur gros, peut-être vous aussi!"
Ai di còn nho ai không
Dêm mua môt manh ao bông che dâu
Rang ngày ai biêt ai dâu
Ao bông ai uot khan dâu ai khô
Nguoi di Tam Dao Ngu Hô
Ke vê khóc trúc than ngô môt minh
Non non nuoc nuoc tình tình
Vì ai ngo ngân cho minh ngân ngo!
Pourquoi le bachelier n’avait-il pas apporté son parapluie ce soir-là? Sans doute ce dernier avait été saisi comme gage par la patronne de la maison des geishas "cô đầu" peu de temps avant, comme le montre ce poème adressé à sa compagne d’une nuit:
Hier je suis venu ici
Chaussé de souliers vernis jaunes
Parapluie occidental en main
À la pointe du jour, cinquième veuille
Je me suis levé alors que tu dormais comme une marmotte
J’ai demandé mon parapluie: disparu!
Je te l’ai demandé, tu balbutiais sans rien dire
Comment pourrais-je, sans parapluie,
Sortir malgré les intempéries, matin et soir,
Pour me mettre au service de l’amour?
Hôm qua anh dên choi dây
Giày giôn anh diên, ô Tây anh câm
Rang ngày sang trông canh nam
Anh dây em hay còn nam tro tro
Hoi ôi ô mât bao gio
Hoi em, em vân om o không thua
Lo khi rày gio mai mua
Lây gi di som vê trua hoi tinh?
Des paysannes travaillent à l’abri de parapluies. |
Photo: CTV/CVN |
Notons qu’au temps de Tú Xuong, le parapluie introduit par les Français était déjà adopté par les personnes de quelque distinction, en même temps qu’en ville les souliers remplaçaient les babouches.
Chanson-poème de Brassens
La veste de coton et le parapluie de Tú Xuong me rappellent la chanson-poème attendrissante de Brassens (1921-1981), le Parapluie:
I
Il pleuvait fort sur la grand-route,
Elle cheminait sans parapluie,
J’en avais un, volé sans doute
Le matin même à un ami.
Courant alors à sa rescousse,
Je lui propose un peu d’abri
En séchant l’eau de sa frimousse,
D’un air très doux elle m’a dit oui.
(Refrain)
Un petit coin de parapluie,
Contre un coin de Paradis.
Elle avait quelque chose d’un ange,
Un petit coin de Paradis,
Contre un coin de parapluie.
Je ne perdais pas au change,
Pardi!
II
Chemin faisant que ce fut tendre
D’ouïr à deux le chant joli
Que l’eau du ciel faisait entendre
Sur le toit de mon parapluie.
J’aurais voulu comme au déluge,
Voir sans arrêt tomber la pluie,
Pour la garder sous mon refuge,
Quarante jours, quarante nuits.
(Refrain)
Mais bêtement, même en orage,
Les routes vont vers des pays.
Bientôt le sien fit un barrage
À l’horizon de ma folie.
Il a fallu qu’elle me quitte,
Après m’avoir dit grand merci.
Et je l’ai vue toute petite
Partir gaiement vers mon oubli.
(Août 2006)