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Le 19 décembre 1946, commençait la Première Guerre d’Indochine, guerre franco-vietnamienne. À Hanoi, face au blitzkrieg français, nos forces régulières à peine formées et nos groupes d’auto-défense populaires ont pu tenir pendant plusieurs mois grâce aux combats de rue acharnés avec des engagements de maison en maison. Le fameux Trung doàn thu dô (Régiment de la capitale) se retira dans le maquis pour revenir au berceau huit ans après, fin 1954, au lendemain de Diên Biên Phu.
Hanoi le jour de la libération en 1954. |
Rétablissement des ruines
Hanoi, avec 500.00 habitants, était alors une ville provinciale, plutôt campagnarde, bien loin d’être la métropole moderne d’aujourd’hui avec ses trois millions d’habitants. Elle avait végété pendant la guerre. Une ville de vélos de cyclos-pousses et de rares voitures, de trams d’un autre âge, de magasins à moitié vides, de quartiers insalubres, de bandes de voyous et de malfaiteurs.
Une fois établie, l’administration révolutionnaire s’est dépensée sans compter pour améliorer la situation. Bien que notable, le développement économique envisagé à long terme sur la base de l’industrialisation était limité à cause des ravages de la guerre et de l’encerclement du pays par les pays impérialistes. La priorité était accordée au rétablissement de l’ordre, au mieux-être des masses, à l’éducation, la santé publique, l’assainissement des mœurs. Dans l’enthousiasme de la liberté reconquise, les Hanoiens participaient activement aux mouvements populaires qui créaient une ambiance de convivialité sans précédent.
Vivant à Hanoi à cette époque, notre regrettée amie la journaliste Alice Kahn nous a laissé un témoignage fidèle et ému dans un article publié par la revue mensuelle Le Vietnam en marche (Octobre 1958). Ci-dessous son article.
«Un jour je quitterai Hanoi»
«Hanoi... ses larges et belles avenues bordées d’arbres imposants, le lac de l’Épée restituée, la file des étudiants à bicyclette à la sortie de l’université, les jeunes filles à la longue chevelure retenue par une barrette de métal qui, dans les défilés populaires, poussent des cris aigus d’hirondelles pour saluer l’ Oncle Hô, les paysans en vêtement bruns aux alentours de la gare ou au marché Dông Xuân, une petite fille fluette portant sur la hanche un gros petit frère aux fesses rondes, les commerçantes de la rue de la Soie et leurs colliers de jade, un +bô dôi+ (soldat vietnamien) pensif qui a pris son vélo à la main pour accompagner une petite marchande, son fléau sur l’épaule... Un jour je ne verrai plus tout cela…
«Ah ! Madame !, m’a dit avec une naïve inconscience un petite fonctionnaire de mes compatriotes, vous n’avez pas connu Hanoi autrefois ! Une vraie sous-préfecture française !» Toutes les nostalgies ne sont pas aussi candides...
La rue Hàng Bac au début du XIXe, restituée en 3D |
Hanoi, la propre, la saine, Hanoi où une veste déchirée se remarque, où les mouches sont en voie de disparition, Hanoi a perdu, depuis 1954, tout ce qui fournit au temps du colonialisme des effets si faciles pour l’atmosphère d’Extrême-Orient d’une littérature de bazar : le banditisme, le jeu, la prostitution, l’opium. J’ai pu voir, noir sur blanc, dans les statistiques du Comité administratif, la représentation chiffrée de cet ancien «pittoresque».
Du temps des bandits célèbres Nhan Trang (Hirondelle blanche) et Thành Phêt (Thành gros lard) et des bandes de voleurs de moindre envergure qui grouillaient autour d’eux, on comptait une moyenne de 200 cas de vols, d’extorsions ou d’agressions en une journée. Sur plus d’un kilomètre, plus de la moitié des maisons de la rue Khâm Thiên abritaient le commerce des femmes. En 1954, Hanoi comptait plus de 10.000 prostituées, 444 fumeries d’opium !
À la même époque, 120 îlots plus qu’insalubres «abritaient», si l’on peut dire, 110.000 pauvres gens, dans des conditions atroces. C’était aussi le temps des épidémies de variole (2.059 cas, 558 décès en 1952, 1.404 cas, 751 décès en 1954). La variole est éliminée depuis 1956. Le banditisme n’existe plus. La prostitution publique a disparu, le jeu et l’opium sont interdits efficacement. Nous avons visité bien des habitations nouvelles, en général construites en bambou, saines et aérées.
Dans le quartier de la Paix, autrefois quartier de la Pagode royal, des étoffes teintes qui sèchent, un vélo-pousse garé sous un auvent tressé, disent les menues industries des habitants. Ils ont construit leurs maisons eux-mêmes avec une aide financière de la ville».
Dans le quartier des dockers, derrière la levée du fleuve Rouge, à 200 mètres de la gare fluviale, les paillotes sont particulièrement nettes et bien aérées. Une grand-mère m’a fait retraverser tout le village, sous un soleil de plomb, parce qu’elle voulait me montrer sa maison, d’ailleurs en tout point pareille aux autres, cueillir pour moi un bouquet d’œillets d’Inde dans un jardin en pente grand comme la main, au-dessus d’un étang vert, et surtout, me faire admirer le cochon qu’elle élève.
Le marché Dông Xuân des années 1960. |
Des travaux colossaux
Dans le quartier des travailleurs de la voirie, de belles maisons de bambou bien carrées ont été édifiées sur un vaste terre-plein aplani, à l’emplacement d’une ancienne décharge publique, sur le lieu même où ces travailleurs gîtaient autrefois au milieu des ordures.
Là, nous avons été honorés d’une réception particulière : dans la maison que nous avions élue au hasard de dizaines d’invitations, pour y boire le verre de thé de la courtoisie vietnamienne, nous aurions bien pu être étouffes tant la foule se pressait, dense, autour de nous. On nous dévisageait joyeusement : nous étions les premiers Français à venir là. «Jamais un Français n’aurait mis les pieds ici autrefois, nous dit-on. Rien qu’en passant sur la chaussée ils se bouchaient déjà le nez...
Il y a l’électricité, mais pas encore l’adduction d’eau et on nous explique avec animation qu’il faut absolument l’avoir ! Ce groupe de maison a une classe maternelle, un club, on donne régulièrement des séances de cinéma; il n’y a plus un seul analphabète depuis le printemps de cette année.
La ville avait investi, à cette époque-là, 300 millions de dôngs dans les travaux de relogement et d’assainissement. +Mais, nous disait le docteur Trân Duy Hung, président du Comité populaire de Hanoi, la population y a mis ses efforts, son travail, des matériaux et surtout, le cœur. Nous ne faisons rien de bon, sans que le peuple nous prête son concours !+
Les habitants d’un quartier s’entr’aident pour être logés dignement. Les +volontaires d’hygiène+ propagent inlassablement des conseils élémentaires, aident à prendre des mesures préventives, à organiser les vaccinations, à dépister les maladies. Des milliers d’éducateurs bénévoles participent à l’enseignement populaire. Certains d’entre eux, souvent les plus enthousiastes, étaient eux-mêmes illettrés il y a peu de temps.
Peu à peu, nous avons été amenés à connaître quelques uns des animateurs de cette activité profonde, quelques-uns entre les centaines et les milliers de militants obscurs qui passent leur vie parmi les masses.
Avant la longue guerre de Résistance, les hommes et les femmes de Hanoi étaient considérés comme une simple variété de ces «foules d’Asie» fatalement vouées d’après une littérature complaisante, à la famine, à la maladie, à toutes les tares sociales. Aujourd’hui, ils construisent eux-mêmes leur vie nouvelle. Plus encore que l’image des pagodes et des belles avenues plantées d’arbres, c’est leur souvenir que j’emporterai avec moi. (Septembre 1958)
Hanoi d’aujourd’hui, vue de l’arrondissement de Câu Giây. |
Photo : Trong Dat/VNA/CVN |
Hanoi, cité charmante
Le Hanoi provincial au charme suranné qu’évoque Alice Kahn appartient au passé. Au cours des dernières décennies, sous l’effet de l’industrialisation et de l’urbanisation rapides, Hanoi est devenu une métropole quelconque avec ses trois millions d’habitants, ses buildings, ses supermarchés, sa cohorte de voitures. Pourtant, dans l’air, surtout au vieux quartier, flotte l’âme de la cité millénaire. L’écrivaine australienne Rosemary Morrow, une amoureuse de Hanoi, remarque non sans mélancolie :
«Le vieil Hanoi était l’une des plus charmantes cités que j’eusse jamais connue. Rien que des maisons à deux ou trois étages qui demandaient peu d’électricité, construites selon les exigences du climat tropical. Elles pouvaient s’ouvrir tout entières en été pour accueillir la brise et se fermer en hiver pour retenir le chaud. La ville respirait le calme, la sécurité et l’amitié. Elle est toujours un lieu calme sûr et amical. Cependant, elle est plus sale avec plus de pollution et de bruit.
N’empêche que le calme et la sérénité de ses lacs, ses temples et ses pagodes vous offrent toujours un asile de quiétude. Je reste amoureuse de Hanoi et des Hanoiens. Les deux me tiennent par le cœur».
Huu Ngoc/CVN