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Un lissier de l’atelier de tapis de Lodève, en France. |
Photo: AFP/VNA/CVN |
"Notre mission est de produire des œuvres pour la présidence, les ministères, les ambassades... mais aussi de transmettre les techniques du tapis de tradition française remontant au XVIIe siècle", souligne Jean-Marc Sauvier, le responsable de la seule annexe de tissage de tapis de la Manufacture de la Savonnerie, située à Paris.
Aujourd’hui l’atelier lodévois, qui s’enorgueillit d’avoir tissé à la main cinq tapis actuellement à l’Élysée, réalise nombre de pièces inspirées d’artistes contemporains. Mais Jean-Marc Sauvier tient à continuer à créer des œuvres classiques tel le magnifique tapis à volutes de style Louis XIV qui trône à l’entrée de l’atelier.
"J’aime montrer qu’avec une même technique qui date de 1664, on peut faire des œuvres complètement contemporaines mais aussi des classiques" inspirés de l’œuvre de Charles Le Brun, peintre et décorateur officiel de Louis XIV, souligne-t-il. "Je sais que je suis en train de toucher quelque chose de très rare dans une carrière", avoue avec émotion Benoît Jorba y Campo, 35 ans, qui dessine dans la salle des calques le carton d’une pièce classique destinée au palais de la Légion d’Honneur.
Le technicien d’art et artiste lissier, formé pendant quatre ans à l’école des Gobelins à Paris, doit réaliser le carton d’ici janvier 2019 à partir d’une pièce originale datant de 1801, avant de passer au tissage qui prendra au moins six ans à trois ou quatre lissiers.
"C’est un peu une quatrième dimension ici au niveau du temps", dit en souriant Anne Gautier, entrée à l’école des Gobelins à 17 ans et passionnée depuis trente ans par ce métier manuel et artistique d’excellence qu’elle a la chance d’exercer en tant que fonctionnaire.
Savoir-faire unique
Assis devant un métier vertical, de manière à voir à la fois le carton et l’ouvrage inspiré d’une œuvre de Nathalie Ponsard évoquant la fluidité de la lumière, Amaria, Bedja et Nordine, trois lissiers, passent et nouent la laine au moyen d’une broche de manière à réaliser un velours serré.
Issus de familles rapatriées après la guerre d’Algérie, ils appartiennent à ce que Jean-Marc Sauvier appelle "l’histoire particulière de l’atelier" de Lodève, crée au départ pour favoriser l’insertion de quelque 70 femmes de harkis, tandis que les hommes étaient employés par l’Office national des forêts. "Je suis entrée il y a 43 ans, à l’âge de 17 ans, à l’atelier où travaillait déjà ma mère", raconte Amaria, qui va bientôt prendre sa retraite.
Un savoir-faire séculaire menacé par la baisse drastique des vocations au fil du temps. |
Photo: AFP/VNA/CVN |
Embauchée en 1979, Bedja, 57 ans, a appris avec les anciennes un métier qu’elle n’a pas choisi mais qui lui plait vraiment. Aucun de ses enfants n’a pourtant souhaité le poursuivre. Alors que l’atelier est installé depuis 1989 à l’entrée de la ville, dans un bâtiment moderne et lumineux qui va être rénové à partir de septembre pour s’ouvrir davantage au public, les deux femmes décrivent des débuts difficiles dans des baraquements dans lesquels elles gelaient en hiver et cuisaient en été. "Il fallait aller vite, on n’avait pas de pause, pas de repères, les femmes souffraient", se souvient Bedja.
Nordine a suivi pendant quatre ans la formation des Gobelins malgré le coût de la vie à Paris. "Pour un homme, c’était nouveau de faire du tissage à Lodève" où des femmes, comme en Algérie, étaient chargées de cette activité, "mais à Paris, c’est traditionnellement un métier d’homme", raconte-t-il.
Actuellement, sur un effectif réduit à vingt personnes, on compte à Lodève seulement cinq lissiers issus de la communauté des harkis. Face à la baisse drastique des effectifs au fil du temps, les lissiers avouent leur crainte de "voir disparaître à jamais un savoir-faire unique".
AFP/VNA/CVN